6ème ARTICLE
Voici le texte de St Paul :
15 Puisque j’ai entendu parler de la foi que vous avez dans le Seigneur Jésus, et de votre amour pour tous les fidèles, 16 je ne cesse pas de rendre grâce, moi aussi, quand je fais mention de vous dans ma prière : 17 Que le Dieu de notre Seigneur Jésus Christ, le Père dans sa gloire, vous donne un esprit de sagesse pour le découvrir et le connaître vraiment. 18 Qu’il ouvre votre cœur à sa lumière, pour vous faire comprendre l’espérance que donne son appel, la gloire sans prix de l’héritage que vous partagez avec les fidèles, 19 et la puissance infinie qu’il déploie pour nous, les croyants. C’est la force même, le pouvoir, la vigueur, 20 qu’il a mis en œuvre dans le Christ quand il l’a ressuscité d’entre les morts et qu’il l’a fait asseoir à sa droite dans les cieux. 21 Il l’a établi au-dessus de toutes les puissances et de tous les êtres qui nous dominent, quel que soit leur nom, aussi bien dans le monde présent que le monde à venir. 22 Il lui a tout soumis et, le plaçant plus haut que tout, il a fait de lui la tête de l’Eglise. 23 qui est son corps, et l’Eglise est l’accomplissement total du Christ, lui que Dieu comble totalement de sa plénitude.
Les versets 15 à 23 sont une mention d’action de grâce, très présente dans les lettres de Paul (ex : Ph 1, 3-11 ou Col 1, 3-14), qui se développe en une mention de prière de demande (v. 17-19) et s’achève par la louange du Christ exalté (v 20-23). Le mouvement est identique à celui de la lettre aux Colossiens (Col 1, 3-20), à cette différence près que la louange du Christ prend, dans la Lettre aux Colossiens, la forme d’un hymne.
L’horizon de la prière.
L’objet proprement dit de l’action de grâce concerne la foi et la charité de la communauté. C’est d’ailleurs l’objet le plus commun de toutes les mentions d’action de grâce. Mais Paul ne s’y attarde pas et développe à cette occasion une prière. Celle-ci est construite très harmonieusement sur la certitude que Dieu fera pour les croyants ce qu’il a déjà fait pour le Christ : nous donner la vie éternelle de bonheur au Ciel en entrant dans la famille divine par adoption et en étant greffé au Fils Unique de Dieu.
Les versets 17-19 sont parallèles aux versets 20 et 23. Dieu, qui est le sujet des verbes principaux des deux sections est le destinataire de la prière, comme il l’est de l’action de grâce. Le « pour nous » des croyants (v. 19) est parallèle au « dans le Christ » (v. 20). Dieu est celui qui donne accès à la connaissance puisque nous sommes dans l’impossibilité et l’incapacité de le découvrir s’il ne se révèle à nous. Lui seul peut ouvrir notre cœur, nous faire comprendre l’espérance et nous communiquer sa force. Les croyants en ont déjà perçu les prémices du fait que Dieu a déployé sa puissance de vie dans la Résurrection du Christ. En lui, ils ont reconnu le Fils que Dieu lui-même a fait asseoir dans les cieux. Ce thème de la session à la droite de Dieu comporte deux aspects : l’un concerne le Christ, et l’autre l’Eglise. D’où les deux parties suivantes : la primauté du Christ, et le Corps qu’est l’Eglise.
Primauté du Christ sur tout le créé.
La primauté du Christ sur tout le créé semble exprimée d’abord de façon spatiale. L’auteur dresse une véritable liste de ce que le Christ domine : « principes, autorités, puissances, seigneuries, tout nom ». Paul utilise des noms pour nommer les puissances intermédiaires, entre les anges (au Paradis) et nous (terre), dans cet entredeux. Il y a beaucoup de forces invisibles, dont la plupart sont neutres envers nous, mais acceptent de se mettre à notre service, au nom (et sous la demande) du Christ. Elles ne sont pas à proprement parler, des alliés, mais « le ciel souffre violence » (Mt 11,12), c’est-à-dire qu’il faut souvent insister pour avoir leur appui et protection. Mais avec discernement, car parmi elles, il y a des esprits démoniaques (d’où le thème de l’occultisme que nous déployons également dans ce journal). Cette lite –que la traduction abrège- permet de dire que toutes les catégories intermédiaires ne sont rien en présence du Christ. Pas une ne peut prétendre être au-dessus de lui. Là où ces forces ont soutenu l’homme qui a chuté –d’où l’explication qu’on retrouve les mêmes formes de divinités dans toutes les religions, même dans des civilisations qui n’ont jamais été en contact : ce sont elles qui nous ont accueilli au nom de Dieu et ont permis, sous l’action de l’Esprit Saint, de retrouver le sens de Dieu et accompagner l’évolution, des hommes des cavernes aux hommes d’aujourd’hui- depuis l’Incarnation de Jésus, elles ont suivi la parole de St Jean-Baptiste : « il faut qu’il croisse et que moi, je diminue » (Jn 3, 30). Toutes ces représentations, dont les Juifs peuplaient le cosmos pour évoquer ces créatures invisibles et supérieures à l’homme, dépendent du Christ dans l’espace comme dans le temps. En passant en revue la totalité des êtres supérieurs à l’homme, l’auteur montre que le Christ est maître de la Création et de l’histoire. Il est au-dessus de tout ce qui peut être nommé. C’est une autre manière de dire qu’il a reçu « le nom au-dessus de tout nom » (Ph 2, 9).
« Il a tout mis sous ses pieds » (v22). Du fait de sa Résurrection, Dieu donne au Christ tout pouvoir. L’auteur applique au Christ ce que le Psaume 8 dit de l’homme à qui Dieu confie sa Création. Ce faisant, il montre que le Christ est celui qui, dans son humanité, accomplit pleinement le programme prévu par Dieu pour l’homme dans la Genèse. En raison de son obéissance filiale sous-entendue ici, Dieu remet au Christ toutes choses puisqu’il est le Fils.
Seigneurie du Christ sur l’Eglise.
Cette primauté du Christ sur le créé se manifeste au sein du groupe des croyants. Le Christ a la primauté dans la communauté qui confesse son nom. Deux termes apparaissent pour la première fois dans l’épître : la tête et le corps. Ils ne sont pas à comprendre au sens seulement biologique. Le terme « tête » est appliqué au Christ pour définir le rapport de celui-ci à l’Eglise qui est appelée « son corps ». Ces deux images décrivent les relations entre le Christ et l’Eglise : elles expriment, du côté de la communauté des croyants, la dépendance, la soumission (dans le sens de lui confier nos vies et notre bonheur, dans un don total et sans retour, pas une vile soumission !), la visibilité ; et du côté du Christ, l’origine, la supériorité, la force vitale (en lui donnant une responsabilité : offrir à chaque personne humaine le bonheur sans condition, sauf de rester librement dans son corps !). En tant que celui qui donne éternellement la vie, le Christ a la supériorité et la primauté en toutes choses de vivants (car personne ne peut se donner une minute de plus de vie, le Christ est le seul à pouvoir donner la vie).
Cette différence entre corps et tête peut se voir visiblement lors des enterrements : le cercueil d’un prêtre, en tant que ministre qui offre son corps, sa parole et sa vie pour que le Christ agisse dans les sacrements, est tourné la tête vers l’autel, alors que pour les laïcs, la disposition est à l’inverse : les pieds vers l’autel (c’est-à-dire le corps vers le lieu du sacrifice du Christ qui donne la vie éternelle).
Les rapports Christ-Eglise sont explicités non seulement en terme de corps, mais aussi de « plérôme »/ Le mot « plérôme » est en apposition au substantif « son corps ». Il désigne donc l’Eglise. « Plérôme » est un mot difficile à expliquer, qui peut revêtir un aspect passif : « ce qui est rempli » ; ou un aspect actif : « ce qui remplit ».
Au sens passif, c’est l’Eglise qui est remplie par le Christ, par ce qu’il est et par ce qu’il donne. Elle est son domaine, elle est son épouse, et il s’y implique de manière à la combler de lui-même. Au sens actif, le Christ a besoin de l’Eglise –au sens où l’Eglise est la plénitude qu’il se donne. Sans elle, il n’est pas lui-même dans la gloire (cf. Ep 4, 7-13, que nous verrons les prochains mois). Cela ne veut pas dire pour autant que l’Eglise ne serait qu’une sorte de complément du Christ ! Le Christ est le principe actif de la plénitude qu’est l’Eglise. Sans l’Eglise, il y a en lui un manque qu’il comble en se donnant cette Eglise.
Il a voulu avoir besoin d’elle, tant que les temps ne sont pas accomplis, au nom du réalisme de l’Incarnation. Pour que l’être humain soit acteur de son bonheur et de sa vie, il fallait bien imaginer une communauté de vie, une communion des âmes autour du même Credo, de la même foi, puisque c’est la foi qui sauve. Ainsi, cette image du « plérôme » met en relief le rapport unissant l’Eglise au Christ : à la souveraineté du Christ, qui est une souveraineté d’amour, correspond la dépendance de l’Eglise qui ne peut être aussi qu’une relation d’amour.
Cette souveraineté est encore renforcée par le fait que le Christ « remplit » (verbe de même racine que « plérôme ») chaque membre de l’Eglise totalement : il remplit tout et tous. Le Christ se donne l’Eglise et ne veut pas se passer d’elle. L’image de l’Epoux et de l’Epouse reprend en la Lettre aux Ephésiens 5, cette perspective déjà présente ici, sous la symbolique du Corps.
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