Bienheureux JEAN MAXIMOVITCH
LE BIENHEUREUX JEAN MAXIMOVITCH
Archevêque de Changhaï, de l’Europe Occidentale puis de l’Amérique Occidentale
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"La sainteté ne se limite pas à une vie de Juste qui rendrait les Justes dignes de jouir de la béatitude dans le Royaume de Dieu, mais elle se situe à un si haut degré de justice que ces hommes se trouvent emplis de la grâce divine au point de la répandre sur ceux qui entrent en contact avec eux. Grande est leur félicité qui provient de la contemplation de la gloire divine. Mais ils ressentent également le plus profond amour pour les hommes qui prend sa source dans l’amour divin ; ils compatissent donc à leurs besoins, sont sensibles à leurs prières, et se font leurs intercesseurs et leurs défenseurs devant Dieu".
St. Archevêque Jean (Maximovitch).
I. Une pieuse jeunesse. II.Le moine Jean. III. Le "Saint" de Bitolj. IV.Le Pasteur de Changhaï V. La force de la foi VI."Moïse le bègue". VII. Parmi les Saints oubliés. VIII. Les afflictions américaines. IX. " Je suis mort, mais je suis vivant "
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Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit.
Voilà déjà cinq ans qu’a paru devant Dieu ce grand hiérarque de l’Eglise du Christ, dont la vie embaumait de façon si inhabituelle par ses vertus chrétiennes et manifestait la Grâce de l’Esprit Saint.(...) Dans l’essai que nous proposons, il est au-dessus de nos forces de présenter au lecteur une biographie complète de Monseigneur. Nous nous limitons à utiliser quelques pièces choisies parmi celles rassemblées par la Confrérie de St. Germain d’Alaska, fondée sur la bénédiction de Mgr. Jean qui souhaitait ardemment que la canonisation du Père Jean de Kronstadt soit suivie de celle du P. Germain, afin que ce nouveau saint devienne le Patron de l’imprimerie de la Mission. Maintenant que ce souhait s’est réalisé, notre devoir est de rendre publique la vérité sur la vie de ce Juste qui dans la profonde décadence de notre époque, apparaît comme un vivant témoignage de la Sainte Russie. On peut voir en lui l’expression de la sainteté de ses représentants. Il témoigne face au monde contemporain hétérodoxe ou païen de la mission supérieure de la dispersion du peuple russe. Pour ceux qui ont embrassé en toute conscience la sainte orthodoxie, il apparaît en vérité comme Père de l’Eglise, un signe de la victoire du Christ sur les ténèbres.
I. Une pieuse jeunesse. La terre d’origine de l’Archevêque Jean fut la région chaude et florissante du gouvernement de Kharkov où, dans le petit village d’Adamovka, au sein de la glorieuse et noble famille Maximovitch, de parents du nom de Boris et Glaphire, naquit le 4 juin 1896 un fils qui reçut au Saint Baptême le nom de Michel en l’honneur de St. Michel l’Archange du Seigneur. La noble lignée des Maximovitch était déjà de longue date renommée dans toute la Russie pour sa piété et son patriotisme. Un des plus éminents Maximovitch fut un saint canonisé par l’Eglise, l’évêque Jean, Métropolite de Tobolsk, célèbre poète et écrivain religieux, auteur d’une œuvre remarquable, l’Iliotropion ou "l’accord de la volonté humaine avec la volonté divine", missionnaire en Sibérie à l’origine d’une expédition en Chine, thaumaturge déjà de son vivant mais encore plus après sa mort par ses reliques incorruptibles qui sont conservées jusqu’à nos jours à Tobolsk. Bien que la mort du Saint Evêque Jean se situe au début du XVIIIème siècle, son esprit semble avoir particulièrement reposé sur son lointain neveu et le jeune Michel dès sa première enfance était un petit garçon tout à fait hors de l’ordinaire. Il était maladif et mangeait peu. Il transformait ses petits soldats-jouets en moines, sa forteresse en monastère. Sous son influence sa gouvernante d’une autre confession se convertit à l’Orthodoxie. Le domaine familial à "Golaya Dolina" était situé seulement à huit verstes du célèbre monastère de Sviatogorsk où Michel faisait de fréquents séjours. Ce merveilleux monastère qui observait la règle du Mont Athos, s’étendait sur la rive boisée du Donetz du Nord, s’ornait de magnifiques cathédrales, d’une haute montagne nommée Thabor avec de nombreuses grottes où vivaient des ascètes retirés du monde, des Skites, de nombreux moines (il y en avait alors six cents) - tout cela avait profondément marqué ce "moine dès l’enfance ". Dans le sermon qu’il prononça lors de son ordination épiscopale, Monseigneur nous dit de sa jeunesse : "Dès que j’ai commencé à prendre conscience de moi-même j’ai désiré me mettre au service de la justice et de la Vérité. Mes parents attisaient en moi cette aspiration à devenir un ferme défenseur de la Vérité et mon âme était captivée par l’exemple de ceux qui sacrifiaient leur vie pour Elle ... " Son père était un maréchal de la noblesse et son oncle le recteur de l’Université de Kiev ; apparemment c’est à une carrière semblable que l’ont destinait Michel. En 1914 il acheva ses études au Corps des Cadets de Poltava et entra à l’Université Impériale de Kharkov à la Faculté de Droit, qu’il termina en 1918. Mais son coeur se trouvait loin de ce monde. On raconte que lors de ses années d’université il passait plus de temps à lire la vie des Saints qu’à assister aux cours, ce qui ne l’empêchait pas d’exceller dans ses études. Il s’appliqua précisément à étudier et à assimiler la vie des saints orthodoxes à un niveau universitaire ; il fit sienne leur conception du monde et l’orientation de leur vie, il se pénétra de leur psychologie, étudia les différents aspects de leur activité, de leur ascèse et de leur prière, bref, son âme entière s’enflamma d’amour pour eux et s’imprégna de leur esprit. "En étudiant les sciences de ce monde", dit-il dans le sermon mentionné plus haut, "j’approfondissais de plus en plus l’étude de la Science des sciences - l’étude de la vie spirituelle". Il s’y appliqua de toutes ses forces et sa vue spirituelle s’éclaira, son âme brûla du désir d’atteindre le but véritable de la vie en Christ et s’engagea dans ce chemin. Avec toute l’ardeur de la jeunesse il entreprit une ascèse dans laquelle il persévéra tout au long de sa vie : la pratique extrêmement pénible des Stylites. Il y alliait d’autres formes d’ascèse qui, ainsi qu’il ressort de sa vie elle-même, faisaient de lui à la fois un sévère ascète, un Pasteur plein d’amour, nourricier des orphelins, un guérisseur, un apôtre-missionnaire ainsi qu’un profond théologien et contemplateur des Mystères, un fol en Christ, un hiérarque de valeur universelle.
II. Le moine Jean. A Kharkov la vie religieuse locale offrait au jeune Michel de quoi nourrir et cultiver sa piété. Dans la cathédrale de la Dormition de la Mère de Dieu se trouvaient Ses icônes miraculeuses "d’Ozyryansk" et "d’Eletsk", que venaient vénérer de nombreux fidèles. Dans une crypte à part reposait un juste et thaumaturge, l’archevêque Méléty (Léontovitch) qui avait prédit sa propre mort en 1841. Là on lisait pour lui le Psautier, on disait des offices funèbres et les fidèles étaient oints avec l’huile de la lampe qui brûlait sur son sépulcre (en 1918, notamment, s’y produisit un miracle qui fit sensation et qui fut consigné par Mgr. Jean) Le saint évêque Méléty avait de son vivant pratiqué une ascèse de prière et de lutte contre le sommeil, passant des nuits debout, immobile, les bras levés vers le ciel sans jamais s’étendre sur un lit. Ce saint dut toucher profondément le coeur de Michel car celui-ci se mit à l’imiter, chose confirmée plus tard par leur ressemblance ; Mgr. Jean s’exerça pendant plus de quarante ans à veiller la nuit sans jamais se coucher sur un lit ; il prédit lui aussi sa mort et comme le saint évêque Melety, il repose à présent dans la crypte souterraine d’une cathédrale où l’on célèbre souvent l’office des défunts, où le Psaultier est lu sur sa tombe par tous ceux qui implorent son aide. Cette crypte est comme une parcelle de la Sainte Russie transportée dans l’Amérique moderne. A Kharkov officiait un prêtre d’un très haute spiritualité, le Père Nicolas Sangouchko-Zagorovsky, qui souffrit par la suite comme Confesseur de la foi et que le jeune Michel connaissait bien. Bientôt se révèla la fervente piété de la vie de Michel lui-même, si bien que l’Archevêque local, Mgr. Antoine Khrapovitsky, une des plus remarquables personnalités de l’Eglise à cette époque, qui devint par la suite Métropolite et l’un des candidats au Patriarcat, souhaita faire la connaissance du jeune homme et le rapprocher de sa personne afin de diriger son développement spirituel. De cela Mgr. Jean nous a lui-même laissé tout un récit. Pendant la guerre civile Michel, en compagnie de ses parents, de ses frères et de sa soeur, fut évacué en Yougoslavie où il entra à l’Université de Belgrade pour y terminer en 1925 des études de Théologie, gagnant en même temps sa vie comme vendeur de journaux. Mgr. Antoine, pour qui il s’était pris de beaucoup d’affection, se trouva aussi à l’étranger à la tête de l’Eglise Russe Hors-Frontières, et Michel continuait d’être en relation avec lui. En 1924 dans l’église russe de Belgrade il fut ordonné lecteur par le Métropolite en personne et deux ans plus tard, au monastère de Milkovo, il reçut également de sa main la tonsure monastique et fut ordonné hiérodiacre, cela avec le nom de Jean en l’honneur de son lointain parent, le Saint Hiérarque de Tobolsk. Pour l’Entrée de la Vierge au Temple le jeune moine se vit conférer la dignité de prêtre. Durant ces années il enseignait le Droit au Gymnase d’Etat de Serbie et en 1929 il devint professeur et éducateur au séminaire serbe de la ville de Bitolj, dans le diocèse d’Okhrid, surnommé "(l’Institut) Théologique" de St. Jean le Théologien. C’est là que pour la première fois se manifesta l’aspect si extraordinaire de sa vie.
III. Le "Saint" de Bitolj. Le diocèse d’Okhrid était alors dirigé par l’Evêque Nicolas (Vélimirovitch) - le "Chrysostome serbe" - poète, prédicateur célèbre et inspirateur d’un mouvement d’éducation nationale. Il aimait beaucoup le jeune hiéromoine Jean et avait pour lui beaucoup d’estime. Souvent il disait : "Si vous voulez voir un saint vivant allez à Bitolj chez le Père Jean". Et en réalité, il devint évident que c’était là un homme tout à fait hors du commun. Il priait intensément et sans cesse, célébrait tous les jours la Divine Liturgie, s’astreignait à un jeûne sévère, ne mangeant qu’une fois par jour tard le soir ; jamais il ne s’irritait et c’est avec un amour paternel tout particulier qu’il communiquait aux étudiants ses hautes aspirations chrétiennes. Les étudiants furent les premiers à découvrir son exceptionnel exploit ascétique : ils s’aperçurent qu’il ne se couchait pas pour dormir mais que, la nuit alors qu’eux dormaient, il parcourait les dortoirs, faisant des signes de croix sur les dormeurs et arrangeait sa couverture à l’un, couvrait plus chaudement un autre, plongé lui-même dans la Prière de Jésus. On s’aperçut finalement qu’il ne se couchait jamais sur son lit et s’il s’endormait, c’était seulement quand il était à bout de forces et que le sommeil le saisissait lors d’une prosternation dans son coin sous les icônes. Des polissons avaient été jusqu’à cacher des punaises sous ses draps pour vérifier s’il s’étendrait ou non sur son lit. Bien des années plus tard il reconnut lui-même que depuis le jour de sa tonsure monastique il n’avait jamais dormi sur un lit. Une pareille mortification est fort rare, car extrêmement pénible. L’éminent fondateur des monastères cénobitiques St. Pachôme le Grand, alors qu’un ange lui dictait la Règle de la vie monastique, entendit au sujet du sommeil ces paroles : "Les frères ne doivent pas dormir couchés, mais qu’ils s’aménagent plutôt des sièges avec des dossiers inclinés et qu’ils y dorment assis"( Règle 4 ). Au bord du lac d’Okhrid dans le monastère de St. Nahum d’Okhrid reposaient les reliques de ce Saint, disciple et compagnon dans leurs missions des Saints Cyrille et Méthode. Le hiéromoine Jean vénérait beaucoup ce Saint qui est particulièrement renommé comme guérisseur des malades mentaux. Il visitait avec l’icône de St. Nahum les hôpitaux et disait des prières pour les malades - chose qu’il fera également par la suite en Chine, même pour les Chinois. Quelques jours avant son propre décès, sans nulle raison apparante, il décrocha du mur de la petite église aménagée chez lui à San Francisco les icônes de St. Nahum et de St. Jean Baptiste pour les mettre sur le lutrin au milieu de l’église. Quelques jours plus tard, en trouvant là ces icônes, tous comprirent pourquoi Monseigneur les y avait placées : c’est qu’il décéda la veille du jour où est commémoré St. Nahum et fut enterré le jour de la Naissance de St. Jean Baptiste. Sur la demande des paroissiens du lieu, Grecs et Macédoniens, il servait la Divine Liturgie en grec et par cela il les avait disposés en sa faveur. Sa renommée croissait et en 1934 la décision fut prise de l’élever à la dignité d’évêque. Quant à lui, il était bien loin d’y penser et quand il fut convoqué à Belgrade, une pareille idée ne lui vint seulement pas à l’esprit, comme le prouve le récit d’une de ses connaissances en Yougoslavie. Elle le rencontra dans le tramway et lui demanda pour quelle raison il se trouvait à Belgrade, ce à quoi il répondit qu’il était venu parce qu’on lui avait envoyé par erreur à la place d’un autre hiéromoine Jean, l’avis qu’il devait être sacré évêque. Le lendemain quand elle le revit il lui confia que, malheureusement, l’erreur était plus grâve qu’il ne pensait car c’était bien lui que l’on avait décidé de sacrer évêque. Quand il avait tenté de se dérober en prétextant sa mauvaise diction, on lui avait fait cette brève réponse que le Prophète Moïse souffrait de la même infirmité. Le sacre eut lieu le 28 mai 1934. Monseigneur fut le dernier et le plus grand parmi les nombreux évêques sacré par le Métropolite Antoine et la haute estime dont il jouissait tout particulièrement auprès de ce vénérable hiérarque est exprimé dans le lettre de ce dernier à l’Archevêque d’Extrême-Orient, Dimitri. Repoussant l’invitation de celui-ci à venir en Chine pour s’y retirer il écrit : " Mon ami, je suis déjà si vieux et si faible, que tout voyage est pour moi hors de question, si ce n’est en direction du cimetière ... Mais à ma place je vous envoie comme mon âme et mon coeur Mgr. l’évêque Jean. Cet homme petit et frêle qui a presque l’air d’un enfant est en réalité, à notre époque d’affaiblissement spirituel général, un prodige d’endurance et de rigueur ascétique ". Dans son sermon lors de son sacre Mgr. Jean parlait des hautes visées du pastorat spirituel à notre époque. Selon la juste remarque d’une moniale, il s’était tracé dans ce sermon tout un programme qu’il accomplit exactement dans le courant de sa vie. Le nouvel évêque se trouvait nommé au diocèse de Changhaï, dans le pays où deux siècles auparavant son aïeul Jean Maximovitch, Métropolite de Tobolsk, avait envoyé la première mission. Dieu avait destiné Maximovitch l’Ancien à faire luire là les premiers rayons de l’enseignement plein de Grâce du Christ, Soleil de la Vérité et destinait Maximovitch le Jeune à y rayonner par sa sainteté chrétienne pour confirmer en quelque sorte la vérité de la doctrine orthodoxe, mais à y ’être aussi le témoin du déclin de la foi chrétienne dans les contrées du " Soleil levant ".
IV. Le Pasteur de Changhaï. Par un matin brumeux de la fin de novembre l’évêque Jean arriva à Changhaï. Cétait la fête de l’Entrée au Temple de la Très Sainte Vierge et nombreuses étaient les personnes qui s’étaient rassemblées sur le quai pour accueillir leur nouvel évêque qui allait occuper la chaire laissée vide par l’archevêque Simon. Celui-ci, missionnaire en Chine pendant de nombreuses années, d’une vie spirituelle très élevée, avait laissé une grande cathédrale qu’il fallait achever de construire et un conflit de juridictions qu’il fallait résoudre. Mgr. Jean rétablit sur le champ l’unité dans l’Eglise, noua des liens avec les Serbes, les Grecs et les Ukrainiens, et fit achever la constructions de l’immense cathédrale dédiée à l’icône de la Mère de Dieu "Intercession des Pécheurs", ainsi que celle d’une maison paroissiale de trois étages surmontée d’un clocher. Il s’occupa tout particulièrement de l’instruction religieuse et se fit une règle d’assister aux examens oraux de cathéchisme de toutes les écoles orthodoxes de Changhaï. C’est par son inspiration et sous sa direction que furent construites des églises, un hôpital, un orphelinat, des maisons de retraite, une école de commerce, un collège de filles, une cantine populaire - bref, tous les établissements sociaux du Changhaï russe. Mais ce qui frappait le plus en lui était que malgré sa participation vivante et pleinement active à tant de choses mondaines il restait, lui, tout à fait étranger à ce monde. C’est comme s’il vivait en même temps dans un autre monde en contact avec l’au-delà, chose que de nombreux témoignages manifestent. Ses "extravagances" ne paraissent étranges qu’à ceux qui se sont eux-mêmes éloignés et rendus étrangers au monde des Saints de l’Eglise Orthodoxe, Saints qui menaient une lutte constante et sans merci contre le Prince de ce monde. Dès le premier jour Monseigneur se mit à célébrer quotidiennement la Divine Liturgie et en cas d’empêchement il communiait quand même aux Saints Dons. Où qu’il se trouvât, il ne manquait jamais un office. Une fois il arriva qu’à force de rester constamment debout, Monseigneur eut la jambe à tel point enflée que les médecins consultés, craignant une gangrène, lui prescrivirent d’entrer sans tarder à l’hôpital. Monseigneur répondit par un refus catégorique. Alors les docteurs russes communiquèrent au Conseil paroissial qu’ils déclinaient toute responsabilité quant à la santé et la vie-même du malade. Les membres du Conseil paroissial, après de longues exhortations et des menaces de l’emporter de force, contraignirent Monseigneur à donner son accord et il fut donc envoyé à l’hôpital russe au matin, la veille de la fête de l’Exaltation de la Croix. Mais un peu avant six heures Monseigneur s’enfuit en secret de l’hôpital et fit son entrée à la cathédrale en boîtant pour y célébrer l’office complet des Vigiles ; un jour plus tard, il n’y avait plus aucune trace d’enflure. Il célébrait tous les offices quotidiens sans rien omettre, c’est à dire qu’il arrivait que l’on lût à Complies plus de cinq canons afin d’honorer tous les saints du jour. Il n’admettait aucune conversation dans le sanctuaire. Après la Liturgie, il restait dans le sanctuaire trois ou quatre heures et il laissa une fois échapper cette remarque : "Comme il est pénible de s’arracher à la prière et de revenir sur terre". Aux jours de la mémoire de certains saints il célébrait pieds nus et exigeait la même chose de ses co-officiants. Il mangeait une fois par jour, et pendant le Carême de Pâques et celui de Noël, il ne se nourrissait que d’une prosphore. Il passait ses nuits à veiller ; pour résister au sommeil il s’aspergeait d’eau froide, mais il ne se lavait jamais. Jamais il ne faisait de "visites" mais là où son aide était nécessaire il apparaissait subitement et cela par n’importe quel temps et aux heures les plus inhabituelles ; tantôt à minuit, tantôt vers deux - trois heures du matin. Jamais il ne prenait de voiture mais il se rendait tous les jours à pied chez les malades avec les Saints Dons. Il était de plus doué de clairvoyance et sa prière était si puissante que le Seigneur l’entendait et l’exauçait rapidement. En voici quelques exemples. Le docteur N. Baranoff nous rapporte ce fait : "un jour, à Shanghaï on appela Monseigneur au chevet d’un enfant qui était à l’agonie et que les médecins avaient déclaré incurable. Il entra dans l’appartement et se dirigea droit dans la chambre où se trouvait le malade, bien que personne n’ait eu le temps de la lui indiquer. Sans examiner l’enfant Monseigneur se jeta littéralement "aux pieds" de l’icône - chose pour lui tout à fait caractéristique - et pria longtemps puis, après avoir réconforté la famille en l’assurant de la guérison de l’enfant, il partit rapidement. L’enfant allait réellement mieux le matin suivant et il guérit si vite qu’il ne fut même plus nécessaire d’appeler le médecin." Un témoin, le colonel M.N. Nikolaeff confirmait ce fait dans tous ses détails. Il y eut beaucoup de cas semblables. Voici ce qu’a noté N.S. Makovoï : "je voudrais faire part d’un miracle dont m’a souvent parlé une personne que je connais très bien, Ludmilla Dimitrievna Sadkovskaya. Ce miracle dont elle-même bénéficia se trouve inscrit dans les archives du County Hospital de Changhaï en Chine. Cela se passa à Changhaï. Elle se passionnait alors pour les courses d’obstacles à cheval. Une fois alors qu’elle était lancée au galop sur la piste quelque chose effraya le cheval, qui la désarçonna ; sa tête heurta violemment une pierre et elle perdit connaissance. On l’emmena évanouie à l’hôpital ; un conseil de médecins se réunit et son état fut déclaré désespéré ; c’était à peine si elle survivrait jusqu’au lendemain matin ; son pouls ne battait presque plus, la tête était fracassée et des fragments du crâne faisaient pression sur le cerveau. Dans un tel état elle ne pouvait que mourir sous le couteau du chirurgien. Et même si l’état de son coeur avait rendu possible une opération, elle en aurait au mieux réchappé sourde, muette et aveugle. Sa soeur, mise au courant du diagnostic, fut prise de désespoir et en larmes se précipita chez l’archevêque Jean pour le supplier de sauver sa soeur. Monseigneur accepta - il se rendit à l’hôpital, demanda à toutes les personnes présentes de quitter la pièce et pria près de deux heures. Puis il fit appeler le médecin en chef pour qu’il examine le malade. Quelle ne fut pas la stupéfaction de médecin quand il s’aperçut que les pouls battait comme chez une personne normale et en bonne santé ! Il consentit sur le champ à faire l’opération mais seulement en présence de Monseigneur. Celle-ci réussit parfaitement et quelle ne fut pas la stupéfaction des médecins quand après l’opération la malade reprit connaissance et demanda à boire. Elle voyait et entendait tout. Elle est toujours vivante, elle parle, voit et entend. Je la connais depuis trente ans". Une de ses plus grandes oeuvres de charité fut la fondation d’un orphelinat qu’il dédia à St. Tykhon de Zadonsk ; là trouvèrent refuge les orphelins et les enfants de parents démunis qu’il confia à la protection céleste de ce grand Saint russe qui comme Monseigneur lui-même, aimait beaucoup les enfants. Pour cela il réunit un comité de femmes et avec leur aide il commença par huit orphelins. L’asile se mit à fonctionner et fut bientôt en mesure d’accueillir une centaine d’enfants et jusqu’à trois mille cinq cents bénéficièrent de ses avantages. Monseigneur partait lui-même à la recherche d’enfants malades et affamés dans les rues et les ruelles sombres des taudis de Changhaï où il arrivait même que des enfants abandonnés soient dévorés par des chiens. Il sauva une fois une petite fille d’un chinois en "l’achetant" en échange d’une bouteille d’eau de vie. Pendant la guerre la situation de l’asile était très pénible - les provisions manquaient. Dans une de ces rudes périodes on s’aperçut qu’il ne restait plus rien à donner à manger aux enfants pour le lendemain. On rapporta cela à Monseigneur. Après avoir écouté, il dit : "Dieu nous enverra à manger" et il se retira chez lui pour prier - il passa toute la nuit en prière. A l’aube on sonna à la porte. On alla ouvrir. C’était le représentant d’une délégation qui venait apporter une somme importante pour l’asile. Monseigneur connaissait tous les enfants et était pour chacun un véritable père. Quand arrivèrent les communistes, il fit évacuer l’asile entier, d’abord aux Philippines puis en Amérique.
V. La force de la foi "Monseigneur semblait vivre dans un autre monde", s’exclame dans son étonnement V. Reyer, qui fut un ami intime de Monseigneur et écrivit beaucoup sur lui. "Avait-il été "ravi au Paradis", comme nous le dit l’Apôtre Paul dans son Epître aux Corinthiens (2 Cor. 12,4) et avait-il "entendu des paroles inexprimables qu’il n’est pas permis à un homme de redire" - nous ne le savons pas, mais par ses enseignements et par ses actes il a témoigné que le Seigneur lui avait laissé entrevoir Son Royaume." Les trois récits qui vont suivre confirment par des exemples vivants la justesse de ce qui a été mentionné ci-dessus ; le premier a été noté par O.Skopitchenko, le second - par L.A.Lu, et le troisième - par la moniale Augusta. I - "Il se passa à Shanghaï un fait étonnant, on ne peut plus caractéristique de la grandeur d’âme et de la foi inébranlable de notre défunt Pasteur. Une femme du nom de Menchikova fut mordue par un chien enragé. Ou bien elle refusa de se faire des piqûres contre la rage, ou elle les fit avec négligence, sans se soucier des règles élémentaires à observer avec les piqûres - le fait est qu’elle fut contaminée par cette terrible maladie. Mgr. Jean l’apprit - de même qu’il savait toujours quand et où il y avait un malade, une personne qui souffrait et allait mourir, et se hâta avec les Saints Dons chez Menchikova déjà mourante. Monseigneur fit communier la malade, mais à ce moment-là elle fut prise d’un de ces accès, typiques de cette terrible maladie, et rejeta la parcelle des Saints Dons avec l’écume qui sortait de sa bouche. La Sainte Communion ne peut être jetée ; et voilà que Monseigneur ramassa et mis dans sa bouche la parcelle que la malade avait recrachée. Les personnes présentes pour l’assister s’écrièrent : "Que faites-vous, Monseigneur ! La rage est terriblement contagieuse !" Mais Monseigneur leur fit tranquillement cette réponse : "Rien ne peut arriver - ce sont les Saints Dons." En effet, rien n’arriva." 2 - "Monseigneur se rendit à Hong-Kong deux fois. Je m’étonne moi-même d’avoir alors, sans le connaître, écrit une lettre à Monseigneur, lui demandant ses prières et son aide pour une veuve et ses enfants ; outre cela, je lui écrivais au sujet d’une question spirituelle qui me concernait personnellement - mais je ne reçus pas de réponse. Une année s’écoula. Monseigneur revint, et je me trouvais dans la foule qui l’accueillait. C’est alors qu’il se tourna vers moi pour m’adresser ces paroles : "C’est vous qui m’avez écrit une lettre !" Je restai stupéfaite, car Monseigneur ne me connaissait pas et ne m’avait jamais vue auparavant. Puis, ce fut le soir à l’église. Après un office d’intercession, Monseigneur, debout devant le lutrin, faisait un prêche. Je me tenais tout près, avec ma mère, et nous avons vu toutes les deux la lumière qui entourait Monseigneur jusqu’au lutrin même ; il émanait de lui un rayonnement d’un pied de largeur. Cela dura assez longtemps. Quand le prêche fut terminé, j’étais si frappée par ce fait si inhabituel que je ne pus m’empêcher de dire à N.V.Sokolova qui s’était approchée de moi ce que nous avions vu. Elle répondit : "Oui, nombreux sont les fidèles qui ont été témoins de ce phénomène extraordinaire". Mon mari qui n’était pas loin a lui aussi vu cette lumière autour de Monseigneur. 3 - "Je suis déjà très agée et il se peut que je meure bientôt ; c’est pourquoi je ne veux pas emporter dans la tombe ce que le Seigneur m’a montré pour mon édification. Grande était la foi de Mgr. Jean. En 1939, j’envoyai ma fille en Italie, chez son mari. Celui-ci l’accueillit quand elle débarqua et l’amena chez ses parents, où ils passèrent onze jours ensemble avant qu’il ne parte à son tour pour l’Afrique où on l’envoyait en mission. Une fois qu’il fut parti, ses parents déclarèrent à ma fille qu’elle n’avait plus qu’à quitter la maison ; dans un pays dont elle ignorait la langue, agée seulement de dix-sept ans - elle m’écrivait des lettres pleines de désespoir ; Je priais de toutes mes forces ; deux mois se passèrent et j’avais bien du chagrin ; j’allais tous les jours à la cathédrale de Changhaï, mais ma foi commençait à chanceler. Je décidai de ne plus aller à l’église, mais d’aller à la place rendre visite à des amis, c’est pourquoi je ne me pressais pas de me lever tôt. Mon chemin passait près de la cathédrale, et voilà que j’entendis chanter dans l’église. J’entrai. C’était Mgr. Jean qui servait. Les portes du sanctuaire étaient ouvertes. Monseigneur dit la prière "prenez, mangez, ceci est Mon corps" et "ceci est Mon Sang... pour la rémission des péchés"... et après cela il se laissa tomber à genoux pour se prosterner jusqu’à terre. J’aperçus à cette instant le Calice avec les Saints Dons découverts, et juste après les paroles de Monseigneur, une petite flamme descendit pour se poser dans le Calice. La forme de la petite flamme ressemblait à celle d’une tulipe, mais plus grande. Jamais de la vie je n’avais imaginé que je verrais de mes propres yeux la Sanctification des Dons par le Feu. Ma foi retrouva sa force. Le Seigneur m’avait montré la foi de Monseigneur et j’avais honte de ma faiblesse." Monseigneur était aussi très courageux. Pendant l’occupation japonaise les autorités essayaient par tous les moyens de forcer la colonie russe à se soumettre à leur volonté. Elles faisaient pression par l’intermédiaire des délégués du Comité des émigrés russes. Deux représentants de ce comité tentèrent de préserver leur indépendance et furent en conséquence tous les deux tués. La terreur s’empara de la colonie russe. C’est alors que Mgr. Jean, malgré les menaces, se déclara chef temporaire de la colonie russe. Le protoprêtre Père Pierre Triodine nous a raconté comment une fois Monseigneur avait voulu à tout prix monter à bord d’un torpilleur japonais amarré dans la port. La marin qui montait la garde essayait de l’en empêcher en le menaçant de sa baïonnette. Mais Monseigneur continuait d’insister. Leur discussion arriva aux oreilles d’un officier japonais posté sur le pont. Il permit à Monseigneur de monter à bord du bateau. Mais Monseigneur se dirigea d’un pas assuré vers la cantine des officiers où, dans un coin, était accrochée une icône de Saint Nicolas. Il se trouva que ce torpilleur était un bateau russe coulé lors de la guerre avec le Japon et que les Japonais avaient récupéré des profondeurs marines. Monseigneur indiqua à l’officier japonais l’icône et déclara que le maître de ce navire était St. Nicolas et que c’était grâce à lui que le torpilleur naviguait sans embûches. C’est pourquoi, disait Monseigneur, les Japonais ne devaient pas oublier cela, et toujours tenir allumée une lampe devant l’icône, toujours avoir du respect pour le Saint. A l’époque de l’occupation japonaise il était particulièrement dangereux de sortir la nuit dans la rue et la plupart des gens essayaient d’être rentrées chez elles avant la tombée de la nuit. Quant à Monseigneur il ne faisait nul cas du danger et continuait ses visites aux malades et à ceux qui avaient besoin de lui à toute heure de la nuit, et jamais personne ne porta la main sur lui. C’est à cette époque que se produisit un fait stupéfiant, en témoignage du fait que Monseigneur "entendait spirituellement" à distance et se hâtait au secours de ceux qui l’appelaient. En 1968 une femme vint nous trouver à la Confrèrie de St. Germain d’Alaska, nous dit qu’elle se nommait Anna Petrovna Louchnikova et que, mise au courant de nos recherches de renseignements sur Mgr. Jean, elle nous demandait de noter sur le champ le récit qui suit. Ella avait pour profession l’enseignement du chant et avait aidé par ses conseils Mgr. Dimitri à respirer correctement lorsqu’il parlait, alors que les médecins qui le soignaient avaient été incapables de l’aider. Quand Mgr.Jean arriva en Extrême-Orient on ne fut pas longtemps à s’apercevoir de sa mauvaise diction. On disait qu’il était bègue de naissance ou qu’il avait reçu une blessure à la bouche etc... Mais elle avait compris tout de suite d’où cela provenait et s’était présentée chez lui pour lui proposer son aide. Elle affirmait que Monseigneur souffrait d’un épuisement général de l’organisme. Il était si faible que sa mâchoire inférieure pesait vers le bas et empêchait une prononciation distincte des paroles. Elle lui avait montré comment respirer correctement, articuler, etc... Il venait régulièrement chez elle pour faire des exercices, s’asseyait humblement pour prononcer des "ooo", "aaa", etc... Il payait avec reconnaissance - laissant toujours un billet de vingt dollars américains. La diction de Monseigneut se corrigait, mais quand commençait le Carême, son infirmité se faisait de nouveau sentir et il revenait la trouver. Elle essayait de l’aider comme elle pouvait et, voyant en lui un homme de Dieu, elle s’attacha beaucoup à lui et devint sa fille spirituelle. "A Changhaï en 1945 - nous dit Anna Petrovna - je fus blessée pendant la guerre et j’étais près de mourir à l’hôpital français. Je me rendais compte que je mourais et je demandais qu’on le fasse savoir à Monseigneur pour qu’il vienne me donner la Sainte Communion. Il était à peu près dix ou onze heures du soir ; dehors il y avait un très mauvais temps, un orage avec une forte pluie. La douleur me déchirait et je souffrais beaucoup. A mes cris pour que l’on fasse venir Monseigneur les docteurs et les infirmières répondaient que c’était chose impossible car nous étions en temps de guerre et l’hôpital était pendant la nuit hermétiquement fermé et qu’il fallait attendre le matin. Je ne les écoutais pas et continuais d’appeler : "Monseigneur, viens ! Monseigneur, viens !" Et personne ne pouvait lui communiquer mon désir. Tout à coup, malgré l’orage, voilà que dans l’arcade des portes de ma chambre apparaît Monseigneur, tout mouillé, et se dirige vers moi. Sa venue me semblait un miracle et je tâtai Monseigneur pour m’assurer qu’il était bien vivant et lui demandai "ou est-ce votre esprit ? " Avec un doux sourire il me répondit qu’il était bien vivant et me donna la Communion. Je fus prise de sommeil et dormis après cela dix-huit heures. Dans la même chambre d’hôpital que moi se trouvait une autre malade. Elle vit aussi Monseigneur me donner la Communion. Mais on ne me croyait pas et on me répliquait qu’il était impossible que Monseigneur fût entré par une nuit pareille dans un hôpital fermé. J’interrogeai ma voisine de chambre et elle me confirma que Monseigneur était venu, mais on persistait à ne pas nous croire. Mais le fait était là : j’étais bien vivante et me portais bien. A ce moment ma soeur, qui ne me croyait pas, refaisait mon lit et trouva comme pour preuve, vingt dollars américains que Monseigneur avait laissés sous l’oreiller ! Il savait que je devais beaucoup d’argent à l’hôpital et que j’en avait besoin, et il les avait laissés là. Par la suite il confirma les avoir mis sous l’oreiller. A partir de ce moment je commençai à me remettre. Plus tard en 1961, à la suite d’un terrible accident d’automobile, je fus encore une fois guérie par lui ; il vint me trouver à l’hôpital et me donna la Communion". C’est sur ces paroles qu’Anna Petrovna termina son récit et s’en alla. Elle ne voulait pas mourir sans les prières des défunts dites par Monseigneur, et elle obtint la réalisation de son désir, bien que Monseigneur fût déjà mort. Cela se passa peu de temps après notre entrevue. De retour chez elle après les Vigiles de la Transfiguration Anna Petrovna fut asphyxiée dans son appartement. La même nuit de la Transfiguration Olga I. Semeniouk, qui connaissait bien Monseigneur à Changhaï, vit en rêve Anna Petrovna morte, couchée dans un cercueil haut placé sous les voûtes d’une nouvelle cathédrale et Mgr. Jean, revêtu de son manteau épiscopal, l’encensait et célébrait l’office des défunts accompagné par un choeur solennel. On apprit le matin suivant ce décès subit. Et nous comprîmes alors pourquoi le Seigneur lui avait inspiré de venir chez nous et d’exiger d’urgence que soient notés ses témoignages de la clairvoyances et de la faculte d’opérer des miracles de notre cher Monseigneur qui déjà dans un monde transfiguré avait en ce jour de la Transfiguration célébré pour elle l’office des défunts.
VI. "Moïse le bègue". "Quand un homme nourrit son âme de la parole de Dieu, enseignait St. Séraphim de Sarov, il reçoit alors le don de discerner ce qui est bien de ce qui est mal", et c’est ce qui donne un sens à notre effort spirituel - d’arriver à discerner la vérité du mensonge. C’est ainsi que Monseigneur nous a prouvé l’authenticité de son effort spirituel quand il a clairement reconnu la tentation que représentait le Patriarcat de Moscou et sauvé par cela une foule d’orthodoxes russes, séduits par le "russisme soviétique" et les a menés, comme Moïse, à la liberté des enfants fidèles de l’Eglise Hors-Frontières et de la Russie à venir. A la fin de la guerre, le Patriarcat de Moscou faisait pression sur le clergé russe hors-frontières pour l’entraîner à se soumettre au nouveau "patriarche" de l’Eglise soviétique, Alexis, le successeur de Serge, que Staline avait fait patriarche, souhaitant par cette ruse utiliser les sentiments religieux du peuple russe afin de freiner l’émigration en masse de la population vers les troupes allemandes, considérées comme libératrices du joug communistes détesté. En 1939 l’Eglise Orthodoxe russe était extérieurement presque anéantie ; malgré la traîtresse doctrine du "sergianisme", il ne restait en liberté qu’une poignée d’évêques - pour des millions de fidèles. Et voilà que tout à coup on élisait un patriarche ! On diffusait partout le film documentaire sur l’élection du patriarche afin d’éveiller les sentiments patriotiques des croyants. En Chine, tous les évêques sauf Mgr. Jean se laissèrent séduire par le sergianisme et passèrent à l’Eglise soviétique, malgré le serment prêté au Synode Hors-frontières. Au printemps de l’année 1946 Monseigneur eut à subir une pression particulièrement forte, accompagnée de menaces, de la part de son archevêque supérieur, Victor, ainsi que de celle du Métropolite Nestor, désigné par le Patriarche Serge comme Exarque d’Extrême-Orient ; à cela Mgr. Jean répondit très simplement, car pour lui tout était clair : " Je suis soumis au Synode Hors-Frontières et comme il me dit, ainsi je me dois d’agir". Après la guerre arriva le décret du Synode épiscopal qui élevait l’évêque Jean au rang d’archevêque, dépendant directement du Synode épiscopal. Quand l’archevêque Victor voulut "écarter" Mgr. Jean par un décret qui lui interdisait de célébrer, celui-ci, au lieu de quitter la cathédrale, monta sur l’ambon et annonça aux fidèles qu’il était relevé de ses fonctions par l’archevêque Victor pour être resté fidèle au serment qu’ils avaient tous deux prêté au Synode Hors-frontières. Il disait : "Je ne me soumettrai à ce décret que si l’on me prouve par la Sainte Ecriture et les lois de n’importe quel pays que le parjure est une vertu et la fidélité à un serment un grave péché". El il célébra toute la liturgie. Les fidèles prenaient la défense de Monseigneur et lui leur expliquait dans des sermons plein d’ardeur pourquoi l’Eglise Orthodoxe Russe Hors-Frontières ne reconnaissait pas le Patriarchat de Moscou : c’est ainsi qu’il sauva du bagne soviétique six mille âmes. En août 1946 les citoyens soviétiques et leur clergé cessèrent de venir à la cathédrale et le Gouvernement National Chinois ainsi que les autorités de la ville reconnurent l’archevêque Jean comme chef du diocèse de Changhaï de l’Eglise Russe Hors-frontières. Avec l’arrivée au pouvoir des communistes, les Russes de Chine furent contraints de prendre de nouveau la fuite, la majorité d’entre eux par les îles Philippines. En 1949 près de cinq mille réfugiés de Chine se trouvaient au Camp de l’Organisation Nationale des Réfugiés sur l’île de Tubabao dans les Philippines. Ils vivaient sous des tentes dans les conditions les plus primitives. Là aussi Monseigneur était le coeur du groupe. C’est là qu’avaient été placés tous les enfants de l’asile, il y avait aussi des vieillards et des malades. Ils vivaient sous la menace constante de terribles ouragans - vu que cette île se trouve sur la route des typhons saisonniers qui se déchaînent dans cette partie de l’Océan Pacifique. Pendant les vingt-sept mois que les Russes passèrent dans ce camp l’île ne subit qu’un seul typhon, qui changea son cours et évita l’île. Quand les Russes interrogeaient les habitants du lieu sur le danger des typhons ils s’entendaient répondre qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter car "votre saint homme fait toutes les nuits le tour de votre camp et trace le signe de la croix à ses quatre coins". Tous connaissaient Monseigneur, le considèraient comme un homme de Dieu. Tout le monde savait comment Monseigneur avait guéri à Manille le fils malade d’un personnage très haut placé. G. Larine nous en décrit un trait bien caractéristique : "Quand je dirigeais l’arrondissement où se trouvait notre église et où vivaient les prêtres, les moniales et Monseigneur ; j’accompagnais parfois Monseigneur à la ville de Hu-Yan, à l’hôpital philippin, où se trouvaient des Russes malades que Monseigneur venait visiter et auxquels il distribuait des Evangiles de poche et des petites icônes. Lors d’une de ces visites, en entrant dans la salle qui abritait les malades russes, nous entendîmes des cris lointains et douloureux. Quand Monseigneur demanda la raison de ces cris l’infirmière russe répondit que c’était une malade incurable qui dérangeait tellement les autres par ses cris qu’on l’avait reléguée dans l’ancien hôpital américain, adjacent à ce bâtiment. Monseigneur décida aussitôt d’aller trouver cette malade mais l’infirmière russe le déconseilla en indiquant qu’elle sentait très mauvais. "Cela n’a aucune importance", dit Monseigneur et à pas rapides il se dirigea vers l’autre bâtiment chez la malade. Je le suivis. La malade sentait vraiment très mauvais. S’étant approché d’elle, Monseigneur lui posa la croix sur la tête et se mit à prier. Je me retirai. Monseigneur pria longtemps puis confessa la malade et lui donna la Communion. Quand nous partîmes elle ne criait déjà plus, mais gémissait seulement. Quelques temps après lors d’une de nos visites à l’hôpital, alors que notre jeep entrait dans le cour, une femme surgit subitement de l’hôpital et courut se jeter aux pieds de Monseigneur. C’était la malade "incurable" pour laquelle Monseigneur avait prié". On conseilla à Monseigneur de faire des démarches à Washington pour que tous les habitants du Camp puissent émigrer en Amérique. Il prit l’avion pour Washington et malgré toutes sortes d’obstacles humains, il obtint vraiment beaucoup : les lois furent modifiées et il arriva à faire immigrer son troupeau. Nous citons ici ce qu’a noté V. Reyer : "Quand nous arrivâmes à Manille Monseigneur me demanda de lui obtenir une audience au Ministre des Affaires Intérieures auquel il avait décidé de demander d’alléger la condition des émigrants russes qui vivaient dans la misère sur l’île de Samar. L’audience fut fixée au surlendemain à neuf heures du matin. A la demande de ma femme, Monseigneur consentit à laisser repriser sa soutane pour cette entrevue. Le jour fixé, à huit heures du matin, je m’approchai de la porte de sa chambre et dis la prière. Il n’y eut pas de réponse et cela plusieurs fois. J’attendis encore quelques instants puis je me décidai à ouvrir la porte. J’entrai et je trouvai Monseigneur endormi à genoux. Il se leva rapidement et promis d’être prêt très vite. Quelques minute plus tard il sortit mais ses cheveux étaient tout décoiffés. Je me mis en tête qu’il serait inconvenant de paraître ainsi devant le Ministre et proposai à Monseigneur d’arranger ses cheveux. Monseigneur refusa en disant : "Ce n’est pas la peine". J’étais persuadé que nous ne serions pas reçus. D’abord, nous avions près d’une heure de retard, et de plus je doutais que l’on nous admette chez le Ministre dans un tel état. A mon étonnement nous fûmes reçus tout de suite. Le Ministre fut lui-même très aimable et prévenant et promit de faire tout ce qu’il pourrait ; Monseigneur n’avait pas à s’enquiéter, il essayerait de satisfaire toutes ses requêtes. Sur le chemin du retour vers l’hôtel je délibérais en moi-même au sujet de ce fait et du me rendre à l’évidence qu’il était impossible de qualifier ni de juger Monseigneur selon des repères humains. Ce qui nous semblait insurmontable ne posait aucun obstacle sur son chemin. Dieu accompagnait Monseigneur dans ses entreprises et les barrières qui existaient pour nous disparaissaient pour lui. Je dus m’en convaincre aussi bien au Consulat américain de Shanghaï que sur le quai de Manille et chez le Ministre du Gouvernement Philippin. Après l’évacuation presque totale du camp et la distribution de ses membres dans différents pays, la plupart aux Etats-Unis et en Australie, il ne restait plus que très peu de personnes sur l’île de Tubabao ; des vents très forts se mirent à souffler et un terrible typhon détruisit le Camp de fond en comble. Le jour de la mémoire du St. Prophète Moïse, quand l’Eglise fête ce grand Chef spirituel qui dans la crainte du Seigneur guidait le peuple élu, notre Evêque se déchaussait, ôtant ses éternelle sandales et, pieds nus, consacrait l’Eucharistie sur l’autel divin comme s’il se trouvait face au Buisson Ardent.
VII. Parmi les Saints oubliés. En 1951 Monseigneur fut désigné par le Saint Synode pour diriger le diocèse d’Europe Occidentale. Il était alors déjà considéré comme un des plus éminents hiérarques de l’Eglise Russe Hors-frontières et il était souvent convoqués aux réunions du Synode à New York. Sa résidence se trouvait principalement à Paris, ville dont la Patronne céleste, sainte Geneviève, était contemporaine de saint Syméon le Stylite qui, discernant sa sainteté, lui envoya en Gaule son salut par l’intermédiaire de marchands, depuis Antioche. Monseigneur arrêta son attention sur les Saints locaux et découvrit toute une constellation de merveilleux Saints des premiers temps, complètement oubliés par nos contemporains, et avec lesquels il noua par la prière une relation vivante. Toute l’Europe de l’Ouest avait reçu la lumière de la foi du Christ bien des siècles avant le schisme de Rome avec l’Eglise d’Orient et l’enlisement de tout le monde latin dans la profonde hérésie du catholicisme romain. Ses premiers apôtres, martyrs, ermites, évêques thaumaturges, étaient d’authentiques Saints orthodoxes, mais seul un très petit nombre parmi cette foule de Saints remarquables avait eu le remps d’entrer dans le calendrier avant le schisme, à la suite duquel les nouvelles autorités eccliésiastiques, privées de la grâce, commencèrent à prêcher une conception altérée et faussée de l’ascèse spirituelle, tombant dans l’illusion comme François d’Assise, Thérèse et d’autres - qui ne peuvent en aucun cas être considérés saints selon la conception orthodoxe. La popularité de ces derniers a totalement éclipsé la mémoire des véritables Saints orthodoxes d’Occident. Cependant, malgré les sacrilèges de la Réforme et de le Révolution française, presque dans chaque ruelle de ville, aux carrefours de villages on trouve des traces de la mémoire d’anciens saints orthodoxes et Mgr. Jean, si plein d’attention pout toute chose sainte, entreprit de sérieuses recherches. En 1952 lors d’un concile d’évêques Monseigneur mit en lumière l’oeuvre apostolique d’un contemporain des saints Cyrille et Méthode, l’apôtre de Danemark et de la Suède, saint Anschaire, qui avait sa chaire à Hambourg et à Brême, mort en 865 et qui, rendu célèbre par ses miracles, avait été canonisé cinq ans plus tard. Selon la résolution du concile d’évêques de 1950, qui accordait aux évêques le droit de tirer au clair eux-mêmes la question de la canonisation de chaque Saint local, Mgr. Jean considéra indispensable de reconnaître que le nom de St. Anschaire (3 février) devait être inclu dans le calendrier de l’Eglise en tant que celui d’un saint hiérarque. Si Dieu Lui-Même l’a glorifié, il serait osé de notre part de ne pas le vénérer comme un Saint", disait Monseigneur, ajoutant toute une liste d’autres Saints qu’il convenait de vénérer à égalité des Saints d’Orient canonisés par l’Eglise Orthodoxe, étant donné que leur vénération remontait à des temps très anciens. On établit donc : "La résolution au sujet de la vénération des Saints d’Occident est la suivante : en vénérant la mémoire des Saints du Seigneur et en trouvant sur les lieux de notre dispersion des apôtres et des ascètes des premiers temps dont les noms nous étaient auparavant inconnus, nous rendons gloire à Notre Seigneur, Merveilleux dans Ses Saints et nous vénérons ceux qui Lui ont plu en exaltant leurs souffrances et leurs exploits, et en les invoquant pour qu’ils se fassent nos défenseurs et nos intercesseurs auprès de Dieu. Nous établissons donc la vénération dans toute l’Eglise Orthodoxe des Justes nommés ici et invitons les prêtres et leurs fidèles à vénérer ces Saints et à avoir recours à leurs prières d’intercession pour nous". Voici la première liste de ces Saints vers lesquels Monseigneur éleva son ardente prière afin que leur ardeur apostolique embrase de nouveau le "vieux monde" à bout de forces et que leurs œuvres oubliées viennent enrichir l’Orthodoxie : le saint martyr Victor de Marseille (mort en 303, fêté le 21 juillet), St. Pothin, prédécesseur de St. Irénée de Lyon (fêté le 2 juin), les saints martyrs qui ont souffert avec St. Irénée de Lyon - Alexandre, Epipode (fêtés le 22 avril) et Blandine (fêtée le 2 juin), le St. martyr Félicien (24 juin), Ste. Geneviève (morte le 3 janvier 512), St. Germain d’Auxerre (mort le 3 juillet 448), St. Loup de Troyes (mort le 24 juillet 479), St. Germain de Paris (mort le 28 mai au VIème siècle), St. Cloud (7 septembre VIème siècle), les saints ascètes Colomban (fêté le 21 novembre), Fridolin (fêté le 6 mars) et Gall (fêté le 16 octobre) qui avaient prêché en Irlande puis s’étaient adonnés aux exploits ascétiques en Suisse et en Italie, Sainte Clothilde, reine de France (morte en 545, fêtée le 3 juin), St. Hilaire de Poitiers (13 janvier), St. Honorat de Lérins (16 janvier), St. Vincent de Lérins, docteur de l’Eglise (24 mai) et St. Patrick, l’apôtre de l’Irlande (17 mars). Sous la protection de ces Saints qui avaient autrefois éclairé de leur gloire les contrées occidentales, Monseigneur se révéla lui-même un nouvel apôtre et missionaire en ces pays, car il prêchait et incarnait sans altération la doctrine éternellement nouvelle et véritable du Seigneur Jésus Christ, laquelle ne pouvait manquer d’éblouir ceux qui croupissaient dans les ténèbres de l’apostasie néo-païenne moderne. Ces Saints devinrent ses fidèles auxiliaires dans son activité variée. Il voyageait constamment à travers toute l’Europe ; célébrait la Divine Liturgie en français, hollandais, de même qu’il avait avant célébré en grec et en chinois et qu’il célèbrera plus tard en anglais ; il était reconnu pour clairvoyant, pour un anargyre guérisseur. De Paris on écrivait sur lui : " Il vit déjà en dehors de notre plate réalité. Ce n’est pas pour rien que l’on raconte que, dans une église catholique de Paris, le prêtre aurait dit en s’adressant à des jeunes : " Vous réclamez des preuves, vous affirmez qu’il n’y a plus maintenant ni miracles, ni saints. A quoi bon vous donner des preuves théoriques quand maintenant les rues de Paris voient passer un Saint vivant - Saint Jean Nus-Pieds". Monseigneur arrêta son attention sur l’Eglise française orthodoxe et fit tout ce qu’il était en son pouvoir pour qu’au moins une partie des paroisses restât sur un chemin sûr au sein de l’Eglise russe Hors-frontières, gardienne de nos jours d’une orthodoxie pure et sans compromis. (...)
VIII. Les afflictions américaines. Les Béatitudes de l’Evangile classées hiérarchiquement, culminent par la promesse d’une récompense à ceux qui souffrent pour le Christ l’opprobre, les persécutions, et toutes sortes de calomnies pleines de mensonge. Le temps était venu pour Mgr. Jean, qui avait glorieusement gravi tous les degrés hiérarchiques des Commandements du Christ, de subir au déclin de ses jours de nombreuses afflictions, afin de se réjouir pleinement de l’allégresse du Royaume des Cieux. Ces afflictions commencèrent alors qu’il occupait la chaire de Bruxelles, où se trouvait la magnifique église construite en mémoire des Nouveaux Martyrs Russes et dédiée à St. Job, le Juste accablé de malheurs de l’Ancien Testament. Monseigneur recevait de San Francisco de tristes nouvelles par ses enfants spirituels - que leur paroisse, la plus grande et la plus solide de toute l’Eglise Hors-frontières, était déchirée par des désaccords. L’ami de toujours de Mgr. Jean, l’archevêque Tykhon, s’était pour cause de maladie retiré au monastère et en son absence la construction de la nouvelle cathédrale plus vaste avait été interrompue et des dissension paralysaient la communauté. Pour satisfaire à la demande instante de milliers de paroissiens à San Francisco - qui étaient en fait ses anciens paroissiens de Changhaï - l’archevêque Jean fut désigné par le Saint Synode pour occuper la chaire de San Francisco en tant que seul hiérarque capable de rétablir la paix et de faire achever la construction de la cathédrale. En automne 1962 dans cette ville éternellement brumeuse de l’Extrême-Occident on vit donc arriver Monseigneur qui prit possession de sa dernière chaire le jour de la fête de l’Entrée au Temple de la Très Sainte Mère de Dieu, le jour même où, bien des années avant, il avait reçu sa première chaire et de nouveau, dans une église inachevée, dédiée à la Mère de Dieu. Sous la direction de Monseigneur la paix fut rétablie, la vie de la communauté retrouva son activité, la construction de la majesteuse cathédrale fut achevée. Mais tout cela ne fut pas chose facile, même pour Monseigneur. Il fut même obligé de se présenter devant le tribunal civil américain pour répondre à d’absurdes accusations au sujet du manque d’argent du Conseil paroissial. La justice se rangea bien sûr du côté de Monseigneur mais les dernières années de sa vie furent chargées de l’amertume de calomnies et de persécutions. C’est à cette période que se rapporte le court récit de L.A. Lu qui témoigne de la grandeur d’âme de Monseigneur, de combien il était supérieur aux vains remous de ce monde et, de comment, en tant que véritable Pasteur inspiré par l’Esprit Saint, il gardait un oeil spirituel vigilant sur son troupeau. "A San Francisco mon mari eut un accident de voiture et en sortit gravement blessé ; il ne pouvait plus contrôler son équilibre et souffrait atrocement. En cette période Monseigneur avait lui-même beaucoup d’ennuis. Je connaissais la force des prières de Monseigneur et je me disais : si j’invitais Monseigneur à venir trouver mon mari, il le guérirait sûrement ; mais je n’osais pas le faire car Monseigneur était très occupé. Deux jours passèrent et voilà que tout à coup Monseigneur fit son entrée chez nous en compagnie de Mr. B.M. Troyan qui l’avait amené en voiture. Monseigneur ne resta chez nous que cinq minutes mais j’avais foi en la guérison de mon mari. C’était le moment le plus pénible de sa maladie et après la visite de Monseigneur il eut une crise après laquelle il commença à se rétablir et vécut encore quatre ans. Il était déjà très agé. Plus tard je rencontrai B.M. Troyan à une réunion paroissiale et il me dit qu’il conduisait alors en voiture Monseigneur à l’aéroport, et tout à coup Monseigneur lui avait dit : "Nous allons maintenant chez Lu". Il avait objecté qu’il risquait de rater l’avion et qu’il ne pouvait pas à l’instant précis faire tourner la voiture. Alors Monseigneur avait dit : "Vous pouvez prendre sur vous la responsabilité de la vie d’un homme ?" Il n’y avait rien à répliquer et il dut conduire Monseigneur chez nous. Monseigneur ne rata pas malgré cela son avion car on en retarda le départ à cause de lui. Durant les cinq minutes qu’il passa chez nous je trouvai le temps de lui dire que la fiancée de mon filleul Pierre n’arrivait pas à obtenir de visa de Chine pour venir en Amérique - mon filleul avait lui-même immigré grâce à un contigent pzrticulier. A cela Monseigneur répondit qu’elle viendrait et qu’on la "baptiserait après" - ce qui se réalisa très exactement alors que Monseigneur était déjà mort. Il prévoyait même ce qui se passerait après sa mort". "Il y a deux ans mon mari tomba malde et me demanda de faire venir notre fils qui résidait dans l’état de New York et passait alors ses examens. Je ne savais que faire. Si mon mari mourait, mon fils ne me pardonnerait pas de ne pas l’avoir prévenu, et si je faisais venir notre fils, l’empêchait de passer ses examens, il perdrait toute une année d’études. Dans mon trouble je téléphonai à Monseigneur et lui demandai que faire. Faillait-il faire venir notre fils - mon mari était très malade et désirait le voir. Monseigneur me demanda de lui retéléphoner à la cathédrale après la liturgie. C’était un dimanche. Après la liturgie je téléphonai donc à la cathédrale et à ma joie, Monseigneur dit : "Ne faites pas venir votre fils car votre mari, Dieu voulant, va se rétablir ! " Et réellement mon mari guérit et survécut même à la mort de notre cher Monseigneur". Mais les afflictions américaines se tranformèrent en joie, non seulement pour la colonie russe de la Californie du Nord, mais elles devinrent, par la grâce de la Très Sainte Mère de Dieu, source de joie pour toute l’Amérique orthodoxe, sous le couvert de Son Eglise de la "Joie de tous les affligés". En 1964 la plus grande cathédrale de toute l’Eglise Russe Hors-Frontières d’Amérique fut achevée et ornée de cinq coupoles dorées. L’élévation de ces immenses croix qui apparaissent dans toute leur majesté à chaque bateau qui entre dans le golfe de San Francisco, fut précédée d’une procession solennelle (plus d’un mille), à laquelle participa une foule très nombreuse de fidèles. La triomphe visible de l’élévation de croix orthodoxes, symboles de la victoire du Christ, qui répandent leur rayonnement au-dessus de cette Babylone moderne, où de nos jours on prêche ouvertement le satanisme, fut l’événement culminant et le triomphe de la vie de Monseigneur sur terre. Il avait déjà reçu la révélation spirituelle de son prochain passage à un autre monde. Quand il trépassa, il trouva le repos sous l’autel, dans les profondeurs de cette même cathédrale, au-dessus de laquelle les croix dorées de l’orthodoxie font rayonner leur victoire. Les récits sur sa vie de Juste atteignirent toutes les parties du monde. Cette cathédrale dédiée à la "Joie de tous les affligés" devint pout tout le monde orthodoxe contemporain la gardienne des restes d’un Saint de notre époque. La résidence de Monseigneur était constituée par une petite cellule dans un bâtiment de l’asile de St. Tykhon de Zadonsk. Monseigneur, par son ardeur à servir la Vérité Divine, ressemblait beaucoup à ce Saint qui lors de réjouissances payennes pendant le carême des Sts. Pierre et Paul avait fait irruption, debout sur son équipage, en plein milieu de la fête pour faire retentir le tonnerre de sa juste indignation et, en agissant ainsi, avait éveillé chez beaucoup un désir ardent de vivre dans la piété. Un fait semblable se produisit avec Monseigneur. En 1964 fut enfin obtenue la canonisation si longuement attendue du Père Jean de Kronstadt. Déjà en 1952 Monseigneur avait présidé le premier concile au sujet de cette canonisation ; plus tard il participa à la composition du service et c’est lui qui est l’auteur du kondak à St. Jean de Kronstadt. La canonisation fut fixée au 18 octobre, le 1er novembre selon le nouveau calendrier, date à laquelle les catholiques fêtent tous les saints, et dans la nuit de laquelle, selon une de leurs traditions, les forces démoniaques obtiennent la liberté de provoquer tous les désordres qu’elles désirent. En Amérique cela a pris l’aspect d’une "fête", d’espiègleries enfantines, quand on se déguise en sorcière, en démon, et autres monstres, comme si l’on invoquait les forces du mal pour entrer en contact avec elles. Cela recèle une parodie du Christianisme, une dérision des Saints. Cette fête démoniaque porte le nom d’Hallowe’en. Pour être "à la page" un groupe de Russes organisait en cette nuit, veille d’un dimanche, un bal en l’honneur d’Hallowe’en. A la cathédrale pendant les vigiles célébrées en l’honneur du nouveau Saint, l’absence d’un grand nombre de personnes se faisait nettement remarquer. Après l’office, Monseigneur, s’adressant à son fidèle acolyte, Paul Loukianoff, dit : "Emmène moi au bal ! " Une fois arrivé, Monseigneur monta rapidement l’escalier et fit irruption dans la salle, à la complète stupéfaction de l’assistance. La musique cessa. Monseigneur, sans prononcer une seul parole, foudroyait de son regard l’assistance pétrifiée et d’une démarche lente, son bâton à la main, il fit le tour de la salle. Nulle parole n’était nécessaire, la conscience de chaque personne à qui Monseigneur était venu faire entendre raison parlait d’elle-même très clairement à la seule vue de celui-ci, ainsi que le manifestait leur trouble. Monseigneur sortit en silence et ce n’est que le jour suivant que du haut de l’ambon, ce juste Pasteur laissa éclater son indignation. Monseigneur prédit la glorification de St. Germain d’Alaska dès 1962 et son inspiration fit effectuer cette glorification nationale dans la cathédrale où lui-même repose. IX. " Je suis mort, mais je suis vivant ". Alors qu’il accompagnait l’icône miraculeuse de la Mère de Dieu "de Koursk" à Seattle, Mgr. Jean, le 19 juin (selon l’ancien calendrier) 1966, après avoir célébré la Divine Liturgie dans la cathédrale locale dédiée à St. Nicolas - Eglise-mémorial des Nouveaux Martyrs - resta encore trois heures seul dans le sanctuaire. Puis, après avoir rendu visite avec l’icône miraculeuse à ses enfants spirituels qui habitaient près de la cathédrale, il passa dans une pièce de la maison paroissiale où il s’arrêta et tout à coup on entendit un grand bruit ; les personnes qui l’avaient assisté lors de l’office accoururent pour s’apercevoir que Monseigneur était sur le point de mourir. On le fit asseoir dans un fauteuil et là, face à l’icône miraculeuse de la Mère de Dieu, de même que son saint ancêtre l’évêque Jean de Tobolsk, il rendit son âme à Dieu, s’endormit pour ce monde, comme il l’avait si clairement prédit à beaucoup. C’est là seulement que prit fin son exploit si extraordinaire par sa rigueur qui dépassait les forces humaines ; la privation de repos et de sommeil, cette nécessité si naturelle et si légitime de tout organisme humain. On le déposa sur un lit qui se trouvait là, lit remarquable et bienheureux, qui lui offrit la paix et le repos après quarante ans de veille ! "Dors maintenant en paix !", laissa échapper, de son âme pleine d’un amour ardent pour Monseigneur, l’archevêque Averky dans la conclusion de son oraison funèbre ; "dors maintenant en paix, notre cher Vladika bien-aimé ; repose-toi de tes justes travaux et de ton ascèse, repose en paix jusqu’à la Résurrection générale". Et vraiment , une rosée de grâce vint irriguer ce lieu, ce bâtiment, où ce Juste avait trouvé le repos. Cette pièce fut bientôt transformée en chapelle et des offices y sont célébrés (...). Dès que la nouvelle du repos de Monseigneur se répandit, un des premiers à saluer ce décès fut le Professeur N.D. Talberg qui nous a laissé une appréciation très exacte de Monseigneur. Il écrit : "Il a plu au Seigneur de mettre un terme au pélerinage sur terre de ce Juste. Dans notre monde moderne enveloppé de ténèbres, il est apparu à nous pécheurs comme un véritable "fol en Christ" qui n’abandonna pas sa "folie", même revêtu de la dignité épiscopale. Cette forme d’ascétisme, si chère à la vieille Russie, est loin à notre époque d’être comprise par tous. Par son mode de vie il présentait une grande ressemblance avec St. Grégoire le Théologien qui, bien qu’il eût à subir la persécution de "faux-frères", continuait à s’occuper des affaires de l’Eglise et à lutter par écrit contre les hérétiques ; St. Grégoire menait une vie d’un ascétisme très sévère ; il marchait pieds nus, ne portait que des vêtements déchirés, dormait à même le sol ou sur une couche de branchages, recouvert de haillons et jamais il n’allumait de feu pour se réchauffer". On dit du St. Apôtre Jean le Théologien qu’il était "rempli de théologie" parce qu’il était plein d’amour - on peut dire la même chose de Monseigneur, bien que personne n’ait pour le moment entrepris une étude approfondie de sa théologie. Tous ses sermons et ses écrits sont d’une théologie très précise et d’une grande profondeur de pensée. On rapporte que, dans ses débuts, quelqu’un lui avait demandé : "Mais qu’y a-t-il donc d’inexact dans la doctrine du Père Serge Boulgakoff ?" En réponse il écrivit sur le champ une analyse théologique très profonde qui démontrait l’hérésie de la "sophiologie" et qui servit de fondement au décret du Synode concernant cette question. On connait aussi sa réfutation du nouveau dogme romain-catholique de "l’Immaculée conception" qu’il écrivit quand il était encore hiéromoine. Ses définitions présentent un vif intérêt. "La religion est l’alliance totale des sentiments et des pensées, dirigés vers un Etre suprême, et leur expression extérieure". "L’Eglise est l"union d’êtres raisonnable qui croient au Seigneur Jésus Christ". "L’office funèbre qui se déroula le 24 juin, écrit un de ses participants, commença à six heures du soir - heure fixée par le Métropolite Philarète, qui venait d’arriver de New York - et se termina, à cause de la foule de personnes qui donnaient leur dernier adieu à leur archevêque défunt, seulement à une heure du matin. L’office funèbre était présidé par le Métropolite Philarète lui-même assisté des archevêque Léonty et Averky, des évêques Savva et Nectaire, de vingt-quatre prêtres et de quelques diacres. Nul parmi les participants de cet office funèbre si profondément émouvant par son recueillement et l’élévation de sa prière ne pourra jamais l’oublier. Selon l’aveu de beaucoup, jamais ils n’avaient eu l’occasion de prendre part à une telle fête spirituelle, véritable triomphe de l’esprit du défunt. Malgré la profonde affliction, les pleurs et les gémissements des innombrables fidèles de Monseigneur Jean, au-dessus de tout planait un sentiments de joie toute particulière qui pénétrait toute l’assistance en prière et qui atteignit son point culminant au moment où l’on fit faire trois fois au cerceuil le tour de la cathédrale. On entendit ces commentaires : "C’est comme si ce n’était pas un enterrement mais l’ouverture des reliques d’un Saint !" Ou : "Cela rappelle ce que l’on ressent à la procession avec l’épithaphios le Samedi Saint !" ; c’est ainsi que de nombreuses personnes exprimaient leur extraordinaire état d’esprit. Mgr. Jean resta six jours exposé dans son cercueil ouvert et malgré la très grande chaleur de l’été il n’émanait de lui aucune odeur de putréfaction et sa main restait souple, sans la rigidité des cadavres. Cela bien que les pompes funèbres n’aient par aucun moyen préservé son corps. On ne pouvait s’empêcher de se remémorer les paroles de l’évêque Ignace Briantchaninoff dans sa Méditation sur la mort : "Quelqu’un a-t-il déjà vu le corps d’un Juste abandonné par son âme ? Il n’émane de lui nulle puanteur, nulle crainte n’envahit ceux qui l’approchent ; quand on l’entoure la tristesse est mêlée d’une joie inexprimable". Tout cela en signe certain que "le défunt a reçu du Seigneur grâce et miséricorde", selon les paroles de St. Ignace". "L’incorruptibilité est incontestable, écrivit plus tard le Métropolite Philarète et il ajoutait : Mais cela n’est pas tout. Une femme pieuse, digne de toute confiance, a raconté le fait suivant. Mgr. Jean, qui l’avait connue douze ans, venait souvent lui rendre visite pour des entretiens spirituels. Et voilà au mois de mai de cette année quand Monseigneur, selon son habitude, était passé la trouver il la stupéfia par ces paroles : "Je mourrai bientôt, à la fin de juin" (Monseigneur ne reconnaissait pas le nouveau calendrier) et, chose encore plus frappante, il aurait dit : "Je mourrai non pas à San Fransisco mais à Seattle - j’irai là-bas et j’y mourrai "... Une autre femme très pieuse nous fit part de ce rêve. Très peu de temps avant le décès de Monseigneur elle fit ce rêve : elle se voyait debout dans la nouvelle cathédrale, Monseigneur s’approcha d’elle et lui dit : "allons" et la conduisit dans les profondeurs de la cathédrale - jusqu’à ce qu’ils arrivent dans une petite pièce sombre au sous-sol. Là Monseigneur s’arrêta et dit : "Voilà ma maison". Ce rêve s’était nettement gravé dans sa mémoire et elle fut bouleversée quand la procession funéraire se mit à descendre et amena le cercueil juste dans cette petite pièce du sous-sol - la crypte que Monseigneur lui avait montrée en rêve. Je peux moi-même raconter que la dernière fois que Monseigneur assista à une réunion du Synode et que je célébrai pour lui un service d’intercession pour son départ de San Fransisco avec la Sainte Icône, Monseigneur me fit des adieux tout à fait inhabituels. Au lieu de prendre l’aspergeoir et s’asperger lui-même en tant qu’évêque, il s’inclina humblement et me demanda de l’asperger, après quoi, au lieu de l’ordinaire embrassement de mains mutuels, il saisit fermement ma main pour l’embrasser et retira brusquement la sienne. Je le menaçai du doigt en guise de plaisantrie et nous avons tous les deux souri. Son geste avait eu quelque chose d’extrêment touchant mais je n’y avais pas prêté de signification particulière, et maintenant je me dis qu’il voulait vraiment me "faire des adieux " car nous ne nous sommes plus revus. Que le Seigneur accorde le repos des Justes à notre grand homme de prière." Monseigneur apparut en rêve à de nombreuses personnes, soit dans une lumière éblouissante, soit avec une sentence mystérieuse. Mais son apparition la plus frappante qui eut, on peut dire, une signification pour l’Eglise entière, fut celle qu’eut la très vieille directrice de l’asile de St. Tykhon, M.A. Shakhmatova, après laquelle elle mourut très vite elle-même à la suite de Monseigneur : "le 4 septembre 1966 à six heures du matin je fis ce rêve. Une procession très nombreuses va de la cathédrale à l’asile et remplit toute la voie de la 15ème avenue et celle de Balbao ; on porte les bannières, les icônes et le cercueil de notre Monseigneur Jean avec des chants funéraires. Je suis sur le perron de notre maison et je me fais du souci ; je pense qu’il sera très malaisé de monter le cercueil par l’escalier de la maison, mais les aides et nos élèves l’ont si bien soulevé qu’il est passé près de moi comme porté par une vague, et là j’ai remarqué que le voile et la mître se mettaient a remuer et j’ai adressé à la foule ces paroles : "Messieurs, Monseigneur est vivant !" On fit entrer le cercueil dans la maison. Et voilà que je vis Monseigneur sortir de sa chambre revêtu de sa soutane avec un omophorion violet et son étole, tenant un petit flacon d’huile dans ses mains ; il alla jusqu’aux Portes Royales et là il se tourna pour dire à l’assistance : "Je vais à tous vous donner l’onction ; approchez avec piété". Une foule de gens alla recevoir l’onction puis se dispersa. Je m’avisai que c’était mon tour de m’approcher, j’eus la pensée qu’il fallait recevoir cette onction avec piété. Monseigneur me donna l’onction et ce faisant dit deux fois : "Dites aux fidèles que bien que je sois mort, je suis vivant". Je me suis réveillée dans une grande émotion et j’ai vite noté ces paroles prononcées avec tant de gravité et de fermeté ". Et cela se passa le jour où l’on commémore le St. Prophète Moïse qui avait vu le Seigneur ! (...) Ô mon cher lecteur ! De quelle joie et quelle reconnaissance doit s’emplir ton âme à la seule conscience que tu es, toi aussi, un chrétien orthodoxe, que tu as reçu aussi le don de la grâce dans ta vie terrestre. Que tu n’est pas seul, que tu as des proches, comme ton Ange gardien, le Saint dont tu portes le nom et, comme tu le vois, Mgr. Jean ; ils peuvent à tout moment t’entendre et sont tout prêts à écouter le cri de ton âme sur son champ de bataille, dans sa lutte contre les forces invisibles. Quel doux frémissement doit s’emparer de notre âme pécheresse ! C’est que nous sommes destinés à recevoir pleinement ce qui sur terre est à peine esquissé. Et combien insignifiantes sont les valeurs terrestres qui, comme une mouche fastidieuse, s’efforce à tout instant de distraire notre âme. La distraire de l’Eternité qui l’attend ! Déplois tes ailes, orthodoxe ! Vois les nuages flotter dans le bleu pur du ciel... Amen .
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