L’ANNEE LITURGIQUE (DECEMBRE 2019)
« Année Liturgique »
Le mois de décembre est traditionnellement en Eglise celui où nous changeons d’année liturgique, tant au niveau des messes de semaine (année paire ou impaire) que dominicales (année A, B ou C). C’est pour cela que nous avons choisi d’aborder les étapes historiques qui ont conduit à l’organisation liturgique que nous connaissons. Pour bien comprendre, il est important de savoir d’où nous venons et qu’est-ce qui a été développé au long des siècles, afin d’entrer dans le mystère de ce rythme sacramentel. En fait, cette notion « année liturgique » apparaît au XVIIIe S. à une époque où l’Occident distingua nettement le temps « profane » du temps de la pratique religieuse. Dans cette perspective, l’année liturgique désigne la manière particulière dont de nombreuses Eglises chrétiennes vivent le temps de l’année et organisent au long de celle-ci le déroulement de leurs célébrations. Elle exprime théologiquement le style propre selon lequel les chrétiens ont conscience de vivre à l’intérieur du temps de salut déroulé par Dieu.
L’année liturgique jusqu’au 4ème S.
Le Nouveau Testament atteste clairement que, dès le temps des Apôtres, l’Eglise a célébré chaque semaine le dimanche. A-t-elle, dès cette époque, commencée à fêter spécialement d’autres jours en plus du dimanche, ou les chrétiens ont-ils d’abord abandonné toutes les fêtes en usage chez les Juifs, puis établi après l’âge apostolique une fête chrétienne de la Pâque, en accentuant forcément le caractère pascal du dimanche le plus proche de la Pâque juive ? Faute d’indication claire dans le Nouveau Testament, les historiens inclinaient naguère vers la première de ces deux hypothèses. C’est toutefois la seconde qui, sans être certaine, semble aujourd’hui la plus probable. En effet, elle permet de mieux comprendre la querelle pascale qui, du temps du pape Victor (v. 189-200), s’est élevée d’abord à l’intérieur de l’Eglise de Rome, puis a gravement opposé entre elles, d’une part, les Eglises asiates (d’Asie Mineure) et, d’autre part, l’Eglise romaine (ainsi que la plupart des autres Eglises). Les Eglises asiates fêtaient la Pâque chrétienne le même jour que la Pâque juive, donc le 14ème jour du mois de nisan, quel que fût le jour de la semaine, d’où l’appellation de « quartodécimans ». Les autres Eglises, en revanche, fêtaient la Pâque (ou en étaient venues à la fêter) le dimanche après le 14 nisan et établissaient donc une cohérence entre la célébration hebdomadaire du dimanche et la célébration annuelle de la fête chrétienne de la Pâque. De part et d’autre, pour autant que nous le sachions, ces Eglises connaissaient certes la même célébration de la mort et de la Résurrection du Christ, la même célébration du mystère pascal, même si leurs approches respectives de la Christologie et de la Rédemption (de St Paul dans un cas, de St Jean dans l’autre) avaient une couleur différente. Après un temps, la Pâque fut célébrée partout le dimanche, y compris en Asie Mineure. Au plus tard au 2ème S., on connut une veillée pascale, préparée par un jeûne, qui célébrait à la fois la mort et la Résurrection du Christ. Dès la fin du 2ème S., on célèbre la cinquantaine pascale (le temps pascal, de Pâques à la Pentecôte), temps de fête dont l’alléluia est le chant, et qui rend la joie eschatologique présente dans le temps de l’Eglise. C’est seulement au 4ème S. que se développera la liturgie du triduum pascal (du jeudi saint à Pâques), que le cinquantième jour du temps pascal sera fêté comme jour de l’effusion du Saint Esprit (Pentecôte) et le quarantième comme jour de l’Ascension. Dès 240, la prédication d’Origène à Jérusalem atteste qu’il existe un temps de 40 jours préparant Pâques. Il ne semble donc pas (contrairement à la position classique) que le Carême tire son origine d’un jeûne, faisant immédiatement suite à l’Epiphanie. En tout cas, ce temps est devenu le temps exclusif (ou privilégié) des catéchèses patristiques et de la préparation des catéchumènes adultes aux sacrements de l’initiation chrétienne (baptême-eucharistie-confirmation).
Noël et l’Epiphanie
Noël était certainement célébré en 336 à Rome, et la fête est probablement antérieure à la paix de l’Eglise (Edit de Milan en 313). Il est possible que la date ait été choisie, dans les jours du solstice d’hiver, pour faire opposition à la célébration païenne, ce même jour, de la naissance du Dieu Soleil (le Sol invictus, Soleil invincible). Ailleurs dans le monde méditerranéen, en Egypte, on fêtait le 6 janvier le Baptême du Christ. Dans le cours du 4ème S., les deux fêtes en vinrent à être célébrées aussi bien en Orient qu’en Occident, sans que les évènements évangéliques commémorés correspondent exactement : la liturgie romaine fête le 25 décembre la Nativité du Christ et le 6 janvier fête principalement l’adoration des mages et la révélation du Sauveur aux païens (et de façon secondaire, le Baptême du Christ). La Liturgie Byzantine fête à la fois la Nativité et l’adoration des mages le 25 décembre (ce qui est juste historiquement puisque ces deux évènements sont vécus le jour de Noël) et le 6 janvier, elle fête le Baptême du Christ. La liturgie romaine de Noël est fortement marquée par le dogme des deux natures du Christ (divinité et humanité, 100% homme et 100% Dieu), tel qu’il a été défini au Concile de Chalcédoine, tandis que la piété des fidèles, à partir du 13ème S. sera colorée progressivement par la dévotion de François d’Assises à l’Enfant Jésus dans la crèche, ce qui donnera à Noël une importance comparable à celle de Pâques. L’année liturgique complétée La fête de Pâques, d’une part, et celle de Noël et de l’Epiphanie, d’autre part, ont été depuis l’Antiquité chrétienne les deux pôles du déroulement de l’année liturgique ; des temps de préparation et de prolongement se déroulaient autour de ces pôles, et l’on connaissait indépendamment de ces deux cycles un temps ordinaire de l’année, au cours duquel chaque dimanche était fêté pour lui-même et au long duquel les Saintes Ecritures étaient lues dans la liturgie de manière continue ou semi-continue. Plusieurs éléments nouveaux apparaissent au 4ème S. et dans les siècles suivants : L’importance dans l’année des significations baptismales et monastiques : les premières ont considérablement marqué le développement de la quarantaine pré-pascale (le Carême) ainsi que la veillée pascale, et les secondes ont pris ensuite une importance prépondérante dans l’année Byzantine. Le passage (spécialement pour la fête de Pâques) d’une célébration du mystère de la fête pris dans son unité à la célébration en quelque sorte historique du détail des évènements vécus par le Christ. Ce déplacement apparaît à Jérusalem à la fin du 4ème S. selon le récit de pèlerinage de l’espagnole Egérie (fin du 4ème S.), puis au siècle suivant dans le déroulement de l’année liturgique aux divers sanctuaires de la Ville Sainte, tel qu’il nous est connu par le lectionnaire arménien (qui n’est autre que le lectionnaire de Jérusalem au 5ème S. adopté tel quel en Arménie). Un élément eschatologique (fin des temps) d’importance variable selon les époques et les liturgies. Dans les liturgies occidentales, il a fortement marqué le temps de l’Avent (avènement), placé autant et peut-être davantage à la fin de l’année qu’en préparation à Noël, dans la grande perspective patristique des deux avènements du Christ (le premier en humilité, le second en gloire), qui encadrent le temps de l’Eglise. De ce point de vue, le thème (proposé par St Bernard de Clairvaux) d’un avènement intermédiaire dans les cœurs et l’insistance sur Noël peuvent rendre moins perceptible la tension de l’histoire du salut vers son aboutissement. Le commencement de l’année varie, en Orient et en Occident, selon les liturgies particulières : dans la liturgie romaine, elle a commencé à Noël, puis ensuite le 1er dimanche de l’Avent. Dans les Eglises issues de la Réforme : il a été parfois conservée, en particulier pour l’organisation des lectures eucharistiques, une année liturgique provenant de l’héritage médiéval. C’est le cas dans la religion Anglicane et Luthérienne. Le mouvement liturgique, à partir du 19ème S. a montré l’importance de l’année liturgique pour la vie chrétienne. Parmi de nombreux auteurs, deux bénédictins doivent être mentionnés spécialement : en France, Dom Prosper Guéranger (1805-1875), restaurateur de la vie monastique à l’abbaye de Solesmes, avec son Année Liturgique (complétée après sa mort par Dom Lucien Fromage) ; en Allemagne, Odo Casel (1886-1948), moine de Maria Laach, dont les nombreux écrits insistent sur la présence du mystère du Salut dans la liturgie, spécialement dans la fête de Pâques. On ne peut séparer de leur œuvre l’action entreprise par le pape Pie X pour réformer l’année liturgique en restituant au dimanche, la primauté sur la fête des saints. La réforme liturgique de Vatican II fait une place importante à l’année liturgique, qui est l’objet de tout un chapitre de la constitution conciliaire sur la liturgie. Ce chapitre insiste sur la commémoration de l’histoire du salut, centrée sur la Pâque, sur la célébration de la Pâque et des dimanches, sur l’aspect baptismal et pénitentiel de l’année liturgique, sur la dépendance du culte des saints par rapport à la commémoration des mystères du Christ. La réalisation de ce programme, en particulier dans le Missel Romain et le Lectionnaire de 1970, ainsi que dans la Liturgie des Heures (anciennement bréviaire) de 1971, a été particulièrement marquée, comme l’avait demandé le Concile, par un très large enrichissement des lectures bibliques de la messe, désormais réparties sur trois années (A : St Mathieu, B : St Marc ; C : St Luc). Ce lectionnaire a trouvé un large accueil dans les Eglises Protestantes de la langue anglaise. Dans un an, lors du 1er dimanche de l’Avent, une nouvelle traduction du Missel Romain, avec des changements sensibles des prières, des formules du Credo, des prières eucharistiques, des préfaces, etc. va être publiée. Nous aborderons en 2020 tous ces changements afin de préparer les cœurs à recevoir ce nouveau Missel et l’intérioriser au mieux.
+Franz
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