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LE BAPTEME DANS L’ECONOMIE SACRAMENTELLE

L’intelligence de la foi est relative à la pratique de la foi : à partir de ce que l’on vit, on s’interroge dans une vie de foi. On se met à l’écoute de ce que l’on vit, ce que l’on reçoit de la Tradition : ça porte sur les gestes du Christ dans le Nouveau Testament, sur l’Ecriture (comme dans Actes) et la Tradition (la façon dont le dépôt de la foi est reçu et vécu sous la motion de l’Esprit Saint depuis 2.000 ans). Le rituel du baptême est une richesse inouïe, porteur de 2.000 ans d’histoire. Il faut essayer de décrypter ce trésor. En Eglise, la pratique des sacrements précède toujours et éclaire l’intelligence de la foi.

La manière dont on célèbre va nous renseigner sur ce que l’on croit : c’est la richesse de la Liturgie, selon le principe : « lex orandi, lex credendi » (expression prononcée par St Célestin 1er, au Vème S, qui signifie que « la loi de la prière détermine la loi de la foi : l’Eglise croit comme elle prie »). Concrètement, cela pose de vraies questions : par exemple, si on dit que l’engagement du baptisé est primordial, doit-on continuer à baptiser les nourrissons ? Pour la Confirmation, faut-il recevoir ce sacrement avant de communier ou pas ? Doit-on suivre la pratique Orientale (baptême, confirmation puis eucharistie) ou Occidentale (baptême, 1ère communion et confirmation) ? De plus, présenter le baptême comme nous le faisons, comporte un risque : isoler le sacrement de sa célébration. En effet, un sacrement, cela se célèbre et engage bien des choses : liturgie et rituel (œuvre publique), une communauté, un ministre ordonné, Dieu lui-même, les familles… Le sacrement est un acte essentiel du culte catholique mais il n’est pas autonome : il fait partie du culte (un culte, c’est l’ensemble des actes par lesquels les personnes humaines se réfèrent à Dieu et reçoivent de Lui la Vie divine). Vue comme cela, la liturgie n’est pas une série de rites, mais « un service de Dieu et des hommes » (selon l’expression du Catéchisme de l’Eglise Catholique, n° 1070). Le peuple de Dieu prend part et participe à l’œuvre de Dieu. Vatican II l’a rappelé avec grande force. Cette dérive d’isolation des sacrements de leur célébration vient d’une longue histoire et le mouvement de renouveau du 19ème S et 20ème S a remis les choses à leur juste place. Cette dérive venait de la remise en question de la théologie des sacrements (protestants) qu’il fallait défendre et justifier.

Il y a un autre danger : séparer le sacrement de sa finalité et de sa fécondité. En France, on a privilégié la présentation de ce que le sacrement effectue : le sacrement réalise ce qu’il annonce, peu importe l’état de sainteté du ministre. On insiste sur la « parole efficace » : quand le ministre ordonné dit « je te baptise », la personne est baptisée immédiatement ! Ca induit l’insistance actuelle sur la forme du sacrement (quitte à oublier le fond) : il faut observer à la lettre chaque rubrique afin que le sacrement soit opéré. Mais une telle approche risque d’oublier la finalité du sacrement : la grâce que le baptême communique est comme une graine qui doit grandir et porter du fruit dans la vie du baptisé. En effet, n’oublions jamais que si la grâce est toujours donnée, elle peut ne pas être reçue… On le voit dans les Evangiles : A Nazareth, Jésus est présent mais ne peut pas agir par manque de foi. Du coup, il est précisé qu’il n’opéra pas de miracle.

Ces deux dangers nous invitent à ne jamais oublier à quoi servent les sacrements (ce qu’on appelle « leur finalité ») : faire des saints de ceux qui les reçoivent !

Vatican II, dans le plan de la constitution Lumen Gentium, nous le montre clairement : on présente le Mystère de l’Eglise, puis le peuple de Dieu, puis sa structure hiérarchique, on affirme son office principal (célébrer les sacrements), et la conclusion : pour la sainteté. On a longtemps oublié de parler de cette finalité de la vocation commune à la sainteté. Et ça a une conséquence concrète : on a une dérive magique qui s’installe dans les esprits, en pensant qu’une fois le sacrement reçu, l’œuvre est faite et on peut attendre le prochain sacrement… Mais pas du tout : il y a tout un chemin de grâce à vivre !

Il faut donc situer le baptême dans l’ensemble de l’édifice sacramentel, pour comprendre la finalité, ce qui éclairera les moyens. Ce qu’on appelle « l’économie sacramentelle du salut » : nous vivons selon et dans une économie du salut qui prend une forme sacramentelle. Il faut avouer que c’est plutôt nouveau de parler du projet de salut de Dieu en « économie ». Economie = Loi de la maison, la façon d’administrer. L’économie divine consiste à comprendre comment Dieu gouverne le monde et selon quelle intervention et moyen il conduit le monde. Il s’agit de discerner dans l’aujourd’hui de nos vies et dans l’histoire, comment Dieu réalise progressivement le salut selon des actes successifs : Alliance avec Noé, avec le Roi David, l’Incarnation, la Résurrection, etc. C’est la façon dont le temps des hommes est assumé par l’Eternité divine.

Il y a trois moments essentiels :

1. Tout d’abord, le péché originel (que le baptême assume) : c’est le moment qui suit la Création. C’est comme une maladie génétique spirituelle qui se transmet de génération en génération, qui nous fait « faire le mal qu’on ne voudrait pas faire, et ne pas arriver à faire le bien qu’on voudrait faire » (Rm 7.19). Le péché originel marque une économie de départ qui n’a valut que pour Adam et Eve, mais qui a valu pour tous les anges. Les caractéristiques étaient de n’avoir aucune dissociation entre nature (création de Dieu) et grâce (vie participative à Dieu). C’est la façon dont le monde est sorti des mains de Dieu : dans l’harmonie. Il n’y avait aucun désordre dans la nature. Tout l’ordre passionnel était soumis à la Raison, ce qu’on a perdu aujourd’hui, et le corps soumis à l’âme, soumis à Dieu : un homme harmonieux provenant de l’union nature et grâce.

Cet ordre originel a été perdu. La chute provoque le désordre de cette harmonie. Ce qui est perdu, c’est la grâce : la participation à la vie divine est perdue. Il reste une nature humaine en désordre puisque ses passions ne sont plus désormais soumises à la Raison (on le voit les colères spontanées notamment).

2. Dieu crée le peuple Hébreu : Dieu va alors intervenir car il ne renonce jamais à son dessein de salut. Il intervient en se créant un peuple avec Abraham et en passant une Alliance avec les hommes.

Dieu lui donne une Loi : la loi de Moïse, la Loi ancienne, dans le but de reprendre son projet de salut. Dieu n’abdique jamais. Cette loi comporte 3 types de préceptes : moraux (pour savoir comment se conduire), judiciaire (ce qui régit la vie du peuple. La Loi qui vient de Dieu devient la Loi du peuple. C’est une théocratie) et cultuelle (qui régit le culte, la relation organisée de l’homme à Dieu). Ce culte contient des signes dont le principal est la circoncision, signe de l’appartenance au peuple et à l’Alliance. Il y a bien d’autres signes que l’on appelle, par extension les « sacrements de la 1ère alliance ».

3. L’Incarnation : le peuple de Dieu devient toute l’Humanité. Dieu se fait homme pour que l’homme devienne Dieu. Le but de Dieu est de redonner à l’homme ce qu’il a perdu par sa faute : la grâce, la participation de l’homme à la vie de Dieu. Le Christ va vivre dans son humanité sa mort et Résurrection : moyen qu’il choisi pour vaincre la mort et redonner à l’homme sa grâce. Cette œuvre du Christ s’inscrit dans le temps et ouvre une dernière période, celle que St Paul appelle « la plénitude des temps » (Ga 4.4).

4. Ce qui est au centre : la divinisation de l’homme et sa participation à sa filiation divine. Le dessein du Père est un dessein de filiation. Le psaume 82.6 le dit clairement : « j’avais dit : vous êtes des dieux ». C’est le projet. Comme l’homme s’en est privé, Dieu intervient et emploie des moyens. Et le moyen le plus divin, c’est l’Incarnation. Parler de l’Incarnation comme moyen, c’est osé, mais il y a une vérité derrière. Il y a donc une économie de moyens : ce à quoi recourt Dieu pour réaliser son dessein de salut. Dieu pourvoit : il donne les moyens dont nous avons besoin. C’est une certitude et c’est notre espérance ! On a donc reçu, le jour de notre baptême, la plénitude des moyens de la part de Dieu. Cela ne signifie pas qu’on les utilise bien (ça se saurait !). S’en suit une réalité à ne jamais oublier : c’est le Christ qui sauve, qui donne la grâce. et « l’Eglise est dans le Christ le sacrement, c’est-à-dire, à la fois le signe et l’instrument de l’union intime avec Dieu et l’unité du genre humain » (c’est le projet de Dieu) (LG 1). Quand un prêtre baptise, c’est le Christ qui baptise, qui est le seul vrai prêtre. Mais comme le sacrement doit être incarné, le Christ s’est choisi des ministres. L’agir de l’Eglise dans ses sacrements, c’est l’agir du Christ ! Tout sacrement doit être vu comme l’agir du Christ !

Pour bien comprendre, il faut revenir à l’état d’avant le péché originel : lors de la Création, au Paradis terrestre, il n’y avait pas de séparation entre la nature humaine et la grâce divine en l’homme. L’homme recevait une vie humaine à transmettre à sa descendance et ce don s’accompagnait de la vie divine. Dans ce monde originel tel qu’il est sorti de la main de Dieu, il y avait cette conjonction plénière. Mais lors de la Chute, le lien entre la nature humaine et la grâce divine dans le cœur de chaque personne s’est rompu… par la perte de la grâce. L’homme se retrouve avec la vie, mais une vie uniquement humaine. Donc limitée et mortelle. C’est pour cela que la mort est entrée dans la Création. L’homme est tombé dans le sensible et a perdu sa vie divine. Il convenait que Dieu se servit de choses sensibles pour soigner le mal là où il était : la chute dans le sensible. Si on avait voulu soigner par le spirituel, comme c’était perdu, cela n’aurait pas marché.

Le sacrement a donc un côté sensible essentiel pour rejoindre l’homme (qui n’était que dans le sensible) et lui rendre la vie spirituelle. D’où l’Incarnation : Dieu entre dans le sensible, en passant par les 5 sens. L’humanité du Christ devient le remède pour que Dieu rejoigne l’homme dans son état. Et pour cela, il a dû assumer une nature visible, sensible pour réajuster l’homme à sa nature invisible.

Le Christ a récapitulé la nature humaine dans sa chair pour vivre de la vie divine à nouveau. C’est la théologie du Christ médiateur. Et l’élément sensible (Jésus) va unir l’homme à l’élément invisible (Verbe). Le Christ communique à l’Eglise la possibilité de continuer ce geste sauveur qu’il a posé. L’agir du Christ, dans sa personne, est de convenance avec sa nature de grâce. C’est la lumière pour tous les sacrements, mais d’abord pour le baptême : c’est le geste sacramentel le plus proche de ce qu’a fait le Christ, pour réussir l’économie du salut.

Est-ce que l’homme avait besoin, dans le jardin d’Eden, de sacrements (= de signes sensibles) pour nourrir sa vie divine ? Si ça fait partie de la nature humaine d’aller du sensible au spirituel, avant la chute, la nature était différente. Le péché a dégradé la nature humaine. Adam était spontanément docile à la grâce. Nous ne sommes plus spontanément dociles à la grâce : c’est le rôle des sacrements de nous y aider. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aurait pas de gestes ou des rites qui auraient été posés, mais l’homme n’aurait pas eu besoin de signes sensibles pour être en lien avec la grâce.

Après la chute : l’homme se trouve dans un état dégradé. Il pose alors des actes spontanés de séparation avec Dieu : Caïn voit ses offrandes non agréées par Dieu, ce qui entraîne de la jalousie. Il y avait donc des actes par lesquels l’homme se référait à Dieu !

Abraham est la Loi ancienne : intervention de Dieu qui se constitue un peuple et lui donne une Loi. C’est quelque chose de nouveau, non que Dieu ne parlait pas aux autres hommes, car Dieu instaure un signe sensible (la circoncision) d’appartenance au peuple de l’Alliance. Un signe posé par Dieu qui met à part un peuple. Puis, de multiples rites marquaient la vie du peuple juif. Ces signes qu’on appelle les « signes de l’Ancienne Alliance », ont ceci de particuliers qu’ils ne communiquent pas comme telle la vie divine.

Le Christ : instaure l’économie sacramentelle. Cette Nouvelle Alliance, accomplissement de l’ancienne Alliance, a ceci de particulière : la grâce est communiquée de génération en génération par les sacrements. Ce qui les distingue à la fois des autres signes des autres religions et des autres signes posés par l’Eglise catholique qui ne sont pas des sacrements.

A la Parousie (retour du Christ à la fin des temps) : y aura-t-il besoin de signes ? Non, car on vivra la réalité du sacrement : nous serons le corps du Christ. Le sacrement n’est qu’un moyen, nous aurons alors la finalité du sacrement (vivre en Christ), donc le moyen deviendra inutile ! Il y a donc une économie des signes présente à toutes les étapes de l’histoire des hommes. Mais l’économie du sacrement ne vaut que pour les temps qui sont les derniers.

  • C’est plus favorable  : par l’Incarnation, « Dieu nous a donné le salut en raccourci » (St Irénée) : un seul mot, un seul oui (cf. le bon larron) au Christ nous donne le salut ! L’homme originel avait toute sa vie pour recevoir le salut. Il y a une proximité inouïe de Dieu par l’Incarnation.

  • C’est moins favorable : le poids de souffrance de toute l’humanité, ce qui n’est pas rien. On voit bien ce que nous rétorque les non-croyants : s’il y a un retour dans la vie de Dieu, pourquoi cela ne se voit-il pas ? C’est une question redoutable. Puisque les sacrements donnent la grâce divine, combien de sacrements pouvons-nous avoir ? En fait, tout se fige au 12ème avec St Thomas d’Aquin.

Avant, St Bernard, par exemple, en voyait 17 ! (ce n’est donc pas inéluctable que cela change un jour ! Pourquoi ne pas imaginer des sacrements tels que les sépultures, l’état religieux ou le sacrement du frère ?). Si tel était le cas, un sacrement garderait une réalité : tout sacrement a un double effet : personnel et communautaire (on ne se sauve pas seul !). Depuis, on a organisé ce « Septénaire » des sacrements, en trois catégories, selon la vie des gens :

  • Entrée dans la vie chrétienne  : les 3 sacrements d’initiation (baptême, confirmation, eucharistie),

  • Aide au côté favorable (la vie) : sacrement du mariage et de l’ordre,

  • Aide au côté défavorable : sacrement de pénitence, sacrement des malades.

Pour ce qui est du baptême, si on le présente associé à la confirmation et à l’eucharistie, il ne faut pas oublier que tout en Eglise est finalisé par l’eucharistie, source et sommet de la vie chrétienne. Si bien qu’il faut nuancer la position de St Thomas d’Aquin, qui affirmait : le baptême, c’est la naissance ; la confirmation, c’est la croissance ; l’eucharistie, c’est la nutrition de la personne. C’est vrai, mais l’eucharistie est aussi le sacrement de la croissance. Tout l’édifice est ordonné à l’eucharistie en tant que source et sommet de tous les sacrements, et même de la vie chrétienne.

Il faut aussi se rappeler qu’en Occident, vu que l’évêque ne pouvait plus baptiser tout le monde, on a réservé le sacrement de l’achèvement du baptême à l’évêque (confirmation) et délégué aux autres ministres ordonnés le baptême. La grande différence entre baptême / confirmation et l’eucharistie, est que le baptême et la confirmation ne sont donnés qu’une seule fois. L’eucharistie nous donne « le pain des anges », c’est-à-dire la vie de Dieu dans la gloire. On va parler des sacrements non réitérables. Le baptême est un sacrement à caractère : une fois reçu, c’est pour l’éternité : on ne peut pas se « débaptiser » !

La grâce est donnée et on ne peut pas la perdre ! Ensuite, c’est à notre liberté d’agir : que faisons-nous de notre grâce baptismale ? C’est une question que nous devrions nous poser très souvent ! Il en va de notre croissance dans l’Amour divin ! +Franz

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