Saintes TARBO, sa SŒUR, et leur SERVANTE
MARTYRE DE SAINTE TARBO ET DE SA SŒUR, VIERGES, ET DE LEUR SERVANTE.
AU MOIS DE MAI DE L’AN 341 DE JÉSUS-CHRIST
La femme de Sapor tomba dangereusement malade. Les éternels ennemis de la croix, les Juifs, qui avaient toute sa confiance, n’eurent pas de peine à lui persuader que les soeurs de l’évêque Siméon, pour venger la mort de leur frère, lui avaient attiré cette maladie par des pratiques magiques. Aussitôt on en réfère au roi, et la vierge Tarbo et sa sœur, comme elle consacrée à Dieu, ainsi que leur servante, également vierge,
sont arrêtées. Conduites au vestibule du gynécée du palais, elles comparaissent devant trois juges. Tarbo était d’une éblouissante beauté ; sa vue gagna soudain le cœur de ses juges, et chacun d’eux songea, à l’insu des autres, aux moyens de l’arracher aux périls qui la menaçaient. Toutefois, se composant un visage sévère, ils dirent aux trois vierges :
« Vous avez, par vos enchantements, rendu malade la reine, la souveraine de tout l’Orient ; vous méritez la mort. »
Tarbo répondit tranquillement : « Pouvez-vous accuser des chrétiennes d’une telle chose ? Rien n’est plus contraire aux pratiques de notre sainte religion que la magie. Vous ne pouvez pas trouver en nous l’ombre d’un crime : mais, si vous avez soif de notre sang, qui vous empêche de le boire ? Si vous vous plaisez tant à torturer chaque jour des chrétiens, que ne vous donnez-vous encore ce spectacle ? Nous sommes chrétiennes, nous mourrons telles, et nous garderons notre foi. Savez-vous ce qu’elle nous prescrit, cette foi ? d’adorer un seul Dieu, et de ne lui égaler rien de ce qu’il y a au ciel et sur la terre ; et, quant aux enchanteurs et aux magiciens, de les punir de mort par l’autorité publique ? Pouvez-vous donc encore nous croire coupables de pratiques qui seraient la violation la plus criminelle de notre foi ? »
Mais Tarbo prouvait en vain son innocence : elle et ses compagnes furent condamnées à mort. Cette sentence, si elle contentait l’impiété des juges, contrariait singulièrement leur dessein. Chacun d’eux, en considérant la beauté de Tarbo, et son esprit égal à sa beauté, avait, conçu secrètement le projet de l’épouser, et se flattait d’y parvenir facilement s’il la sauvait de la mort. Le président dit donc aux trois vierges : « N’alléguez pas les lois de votre religion ; nous savons bien que vous auriez préféré la vengeance ; c’est vous qui, par vos enchantements, avez attiré la maladie de la reine, au mépris de toutes les défenses de votre foi.
— Et pourquoi venger notre frère ? répondit la généreuse Tarbo. Vous ne lui avez rien fait qui puisse nous affliger et nous faire offenser notre Dieu si grièvement. Il est vrai, vous l’avez fait mourir ; mais il n’a pas cessé de vivre, sachez-le ; il vit dans ce royaume éternel dont dépend le vôtre ici-bas, si puissant qu’il soit, et par qui il sera renversé un jour. »
Les vierges furent reconduites en prison. Le lendemain, le président fit demander à Tarbo si elle voudrait lui accorder sa main, avec promesse, si elle y consentait, d’obtenir du roi sa liberté et celle de ses compagnes. La vierge eut horreur de cette proposition. « Misérable, tais-toi ! Ne reparle jamais de cette infamie ! Que mes chastes oreilles ne les entendent plus, et que la pureté de mon coeur n’en soit pas souillée ! Je suis l’épouse de Jésus-Christ, je lui garderai une fidélité inviolable : à lui, l’auteur de ma foi et de mon salut, je confie ma vie ; à lui j’irai sans passer par vos mains, sans avoir souillé ma robe virginale. Je ne crains ni la mort ni les supplices ; c’est la voie pour aller retrouver mon frère, et me reposer avec lui dans le séjour de la paix et du bonheur. »
Les deux autres juges firent faire secrètement les mêmes propositions à la vierge, qui les repoussa avec la même horreur. Alors ils conspirèrent unanimement la perte des trois chrétiennes et les déclarèrent, par la plus inique de toutes les sentences, coupables d’enchantements. Le roi ne put croire que des femmes fussent adonnées à ces pratiques, et il ordonna de les mettre en liberté si elles consentaient à adorer le soleil.
Elles refusèrent. « Dieu, dirent-elles, ne doit être comparé à aucune créature ; nous ne rendrons pas aux œuvres de ses mains le culte qui n’est dû qu’à lui seul. Ni les menaces ni les supplices ne nous feront abandonner Jésus-Christ, notre Sauveur. »
A peine avaient-elles parlé, que les mages s’écrièrent : « Périssent ces misérables, dont les enchantements font depuis si longtemps languir la reine ! »
Le roi leur permit de choisir eux-mêmes le genre du supplice. Ils ordonnèrent de les scier en deux ; car ils avaient annoncé que si la reine passait entre deux rangées de corps coupés par morceaux, elle recouvrerait la santé.
Pendant qu’on les conduisait au supplice, le président fit encore proposer à Tarbo de l’épouser, en lui promettant en même temps sa grâce. La vierge ne put contenir son indignation : « Scélérat, s’écria-t-elle, tu n’as pas honte de nourrir encore de telles pensées ! Apprends donc que la mort, pour moi, c’est la vie, mais qu’une vie achetée au prix de l’infidélité me serait plus dure que la mort. »
Arrivées au lieu du supplice, on les, attacha chacune à deux pieux, et on les scia par le milieu du corps ; puis on les coupa en six morceaux, qu’on plaça dans six corbeilles, et on suspendit ces corbeilles à des poteaux sur deux rangs. Ces poteaux ainsi disposés, avec un espace au milieu, ressemblaient aux deux branches d’une croix, et les morceaux des corps des saintes étaient les fruits de ces deux branches de l’arbre divin, fruits d’agréable odeur pour Dieu, mais bien amers pour les persécuteurs !
Spectacle affreux et lamentable ! En vit-on jamais de pareil ? Vous qui aimez à pleurer, venez, mouillez vos yeux de pieuses larmes ; elles couleront abondantes au souvenir de ce jour funeste où de saintes vierges, qui se cachaient avec tant de soin à tous les yeux, au fond de leur demeure inaccessible, se virent donner en spectacle aux regards d’un peuple immense : elles subirent avec joie pour Jésus-Christ cet affront public. Admirez cependant, au milieu des excès de la perversité humaine, le silence de la justice divine. Elle se tait et dissimule, parce que sa vengeance, quand le jour en sera venu, sera sans miséricorde. Admirez aussi l’étonnante audace de l’orgueil humain ; mais quand il aura été une fois réprimé et abattu, ce sera sans retour.
Quant aux hommes atroces qui ont coupé par morceaux ces saintes vierges et en ont attaché à des poteaux les lambeaux sanglants, ils ont réalisé ce que disent les saintes Lettres : « Les hommes qui se sont levés contre nous nous auraient peut-être dévorés tout vivants ! » Qui a pu trouver du plaisir à cet affreux spectacle ? Qui a pu le regarder sans détourner les yeux ? Qui a pu s’en assouvir et s’en repaître ? Cependant la reine, conduite par les mages, passa au milieu des deux rangs de poteaux auxquels pendaient les membres de ces saintes ; et toute l’armée passa après elle. Ces martyres remportèrent leur couronne le cinq de la lune du mois de mai.
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