Sainte THEODORA
Aujourd’hui mémoire facultative de S. Vincent Ferrier, prêtre mais nous fêtons aussi,
Sainte Théodora Impératrice Byzantine (✝ 867)
Le destin de Théodora, fille du cirque méprisée qui réussit à s’élever jusqu’au pouvoir suprême et à régner conjointement avec l’Empereur Justinien pendant deux décennies, est véritablement exceptionnel…
Actrice et courtisane
Théodora naît aux alentours de l’an 490, dans le « chaudron bouillonnant » qu’est alors Constantinople, véritable brassage d’ethnies, arabes, géorgiens, orientaux… Deux partis s’opposent : les Verts, issus des classes populaires et multi-ethniques, et les Bleus, partisans de l’Empereur et orthodoxes. Ils s’affrontent sur le plan sportif, puis sur le plan social et politique.
Théodora est témoin de leurs rixes lors de tournois sportifs puisqu’elle est la fille d’un dresseur d’ours à l’hippodrome. Elle fait donc partie de ces gens du spectacle, qui exercent le métier alors le plus méprisé de l’Empire, et qui sont jugés infréquentables par la bonne société. Théodora se retrouve orpheline de père très tôt, mais sa mère retrouve rapidement un compagnon exerçant le même métier.
A l’hippodrome, Théodora et sa famille sont vilipendés par les Verts, alors qu’ils sont issus de la même classe sociale, tandis que les Bleus leur accordent plus d’une fois leur bienveillance. Parvenue aux plus hautes marches du pouvoir, elle s’en souviendra.
Théodora et ses deux sœurs sont danseuses et courtisanes, comme la plupart des jeunes filles de leur condition. Théodora se produit sur la scène des théâtres de la ville, dans des bouffonneries un peu obscènes, ou des mimes, des scènes de la mythologie parfois peu édifiantes, mais dont raffole la population.
Procope, écrivain et historien byzantin dont l’œuvre majeure est consacrée au règne de Justinien et Théodora, trouvera dans ces années troubles et licencieuses de la future Impératrice matière à calomnie. Ce texte de Procope, en vérité, s’apparente à un abominable pamphlet.
Il accusera Théodora, qu’il ne peut pas souffrir en raison d’une misogynie notoire et de préjugés de classes bien établis, de la débauche la plus terrible : elle aurait couché avec les esclaves qui accompagnaient leurs maîtres au théâtre, et grâce à des « techniques d’accouplement toujours nouvelles », elle aurait réussi à « s’attacher pour toujours l’affection de ces individus dissolus ». Procope la décrit encore comme une vulgaire prostituée, provocante et accro à la sexualité, choisissant des victimes de plus en plus jeunes et se livrant à de monstrueuses orgies…
Beauté, intelligence et culture
Médisances mises à part, il est certain que Théodora n’a pas froid aux yeux. Petite brune au teint clair, elle possède des yeux magnifiques et singuliers, ainsi qu’un corps extraordinaire, qu’elle exhibe sans pudeur. Elle est souple et entrainée au funambulisme… C’est une belle femme, et elle a compris le pouvoir que cette beauté lui donne sur les hommes. Elle apprend à séduire, à maîtriser ses gestes et son allure…
Courtisane (et non nymphomane comme le prétend Procope !), elle tente d’infiltrer les milieux élégants. C’est à qui l’aura pour maîtresse, à coups de cadeaux mirobolants.
Cette existence somme toute difficile forge son caractère, l’oblige à faire preuve d’autorité et d’indépendance, et à se faire respecter tout en cultivant son charme ravageur. Elle entretient son corps avec des soins quotidiens, thermes, massages et dort aussi beaucoup pour reposer ses traits.
En 518, elle se lie avec un certain Hecebolus, riche sénateur, et part 3 ans en voyage avec lui. Durant ce périple, elle escalade monts et montagnes, traverse la Syrie, Alexandrie, passe même par Antioche avant de regagner Constantinople. On ne sait presque rien de cette période de son existence.
Ce qui est certain, c’est que durant ces 3 années, rapidement abandonnée par Hecebolus, elle comprend qu’elle ne peut pas compter que sur son corps et sa beauté. Alors elle se cultive, apprend à lire et à écrire, certainement à Alexandrie. Bien décidée à faire oublier son passé un peu sulfureux, elle revient métamorphosée.
Elle entretient de bonnes relations avec une certaine Macédonia, danseuse devenue voyante qu’elle a rencontrée en voyage, et qui lui fait côtoyer le beau monde de Constantinople. C’est vraisemblablement par son intermédiaire, on ne sait trop comment, qu’elle rencontre le neveu de l’Empereur Justin Ier : Justinien.
L’ascension vertigineuse
Justinien, que son oncle a adopté et fait venir à Constantinople pour lui donner une très bonne éducation, est en 521 toujours célibataire. Il a presque 40 ans, un visage rond agrémenté d’une petite moustache, une silhouette corpulente. Élevé par un moine, il est austère et assidu aux études : il possède d’ailleurs une vaste et excellente culture. Végétarien, buveur d’eau, fidèle, Justinien est une véritable « oie blanche ».
Tout à coup, il se retrouve face à Théodora, cette tornade aux yeux ensorcelants. C’est un véritable éblouissement pour Justinien. Elle est belle, sait lire et tenir une conversation philosophique, lettrée tout récemment elle est pourvue d’une culture qu’elle sait exploiter.… Chez cette personnalité incomparable, il trouve énergie, ambition et intelligence.
Elle devient sa maîtresse attitrée, et est élevée au rang de patricienne, au grand dam de la mère et de la sœur de Justinien, qui la détestent. Justinien va même plus loin : il veut épouser Théodora. Pour y parvenir, il édicte une loi que son oncle l’Empereur signe avec réticence ! Justinien et Théodora se marient en 523 et montent sur le trône, ensemble, cinq ans plus tard.
L’ancienne paria recevait désormais les hommages de tous. La saltimbanque allait se transformer en animal politique.
Le trône sauvé par une femme
Lorsque Justinien et Théodora arrivent au pouvoir, l’Empire romain est réduit à sa partie orientale. La partie occidentale est aux mains de royaumes barbares, indépendants de Constantinople, et l’Empire subit des pressions aux frontières, surtout à sa frontière slave.
Le grand rêve de Justinien, projet un peu fou, est de retrouver les anciennes frontières, reconquérir l’Italie, la Gaule… Reconstituer l’Empire. Un Empire chrétien. La reconquête de l’Afrique du Nord sera très rapide, mais celle de l’Italie très difficile. Et la plupart des territoires conquis retrouveront leur indépendance plus tard… Pour entretenir cette politique militaire ambitieuse, que Théodora ne soutient pas, une féroce politique fiscale est menée. Le peuple gronde, les révoltes se font de plus en plus nombreuses, jusqu’à ce fameux jour du 11 janvier 523.
A l’hippodrome, l’Empereur et l’Impératrice président les festivités, comme de coutume. Alors que les courses de chars sont lancées, les Verts et les Bleus s’allient, du jamais vu, pour demander l’abdication de Justinien. Les 100 000 spectateurs s’élancent dans les rues, mettent le feu à la Préfecture, au Sénat, aux églises Sainte-Sophie et Sainte-Irène…
Le couple impérial est obligé de se terrer dans son palais alors qu’un autre Empereur a été élu, le propre neveu de Justinien, Hypatios. Craignant, à juste titre, les assassins, Justinien songe à la fuite. Théodora, en ces heures tragiques et décisives, se révèle : elle refuse catégoriquement la fuite, qu’elle juge déshonorante. Ce serait une grave faute politique qui priverait à jamais Justinien de toute légitimité ! Transformée en chef de guerre, elle ranime le courage de ses troupes. Certaines des ses paroles, adressées à Justinien et à ses conseillers, sont restées célèbres :
Il est impossible à l’homme, une fois venu au monde, d’éviter la mort, mais être fuyard quand on est empereur, voilà qui est intolérable. (…) Quand il ne resterait d’autre moyen de salut que la fuite, je ne voudrais pas fuir (…) Que la lumière s’éteigne pour moi quand on cessera de me saluer du nom d’Impératrice.
Elle se montre si inflexible, exhorte tant Justinien à réagir, qu’il se ressaisit alors que les portes du palais menacent d’être défoncés, et ordonne la répression, qui sera terrible : plus de 30 000 personnes sont massacrées. L’Empereur usurpateur est exécuté sur ordre de Théodora elle-même, alors que son époux souhaitait lui accorder sa grâce !
Le pouvoir partagé
La noblesse de l’Empire ne se remet pas de l’accession au trône de Théodora. Surtout que cette femme d’extraction méprisable semble gouverner entièrement son époux et gouverner les affaires de l’Empire… En réalité Théodora ne dicte pas la politique de l’Empire à son mari, suffisamment intelligent et travailleur pour la conduire lui-même. Elle exerce en revanche un certain ascendant sur lui, ascendant qui lui vaut de nombreux ennemis…
Mais Théodora parvient toujours à les évincer ou à les rabaisser par des intrigues de Cour dont elle seule à le secret. Ainsi, elle réussit à transformer le puissant général Bélisaire, héros de guerre richissime et populaire dont elle se méfie, en sujet docile et reconnaissant. Justinien souvent lui laisse carte blanche : il ne fait pas bon déplaire à celle en qui il place toute sa confiance !
Justinien était assurément amoureux de sa femme. Mais, bourreau de travail obsédé par la gloire de l’Empire, il avait su déceler en elle les qualités d’une femme d’Etat capable de l’aider dans sa tâche.
L’Impératrice est associée en profondeur au code Justinien, l’une des grandes œuvres du règne, très fécond en nouvelles lois et juridictions.Toutes les lois édictées touchant aux femmes portent sa marque. Elle qui n’a jamais oublié ses origines est naturellement portée à secourir les femmes dans l’infortune et les prostituées.
Les innovations, pour lesquelles Théodora est fort en avance sur son temps, sont multiples : lois contre la « traite des blanches », pénalités pour les maris exerçant de mauvais traitements sur leurs épouses, possibilité pour ces dernières de demander une séparation, droit pour les comédiennes et courtisanes de rompre un contrat, peine des femmes adultères allégée, discriminations contre les actrices abolies… Avec son argent, Théodora « rachète » aussi des prostituées, qu’elle installe dans une « maison pour pécheresses repenties ».
Théodora porte un intérêt extrême aux affaires religieuses, à une époque où l’Empereur et l’Impératrice ont droit de regard sur tout : nominations, convocation de conciles… Elle est une grande admiratrice de ceux qui choisissent la vie monastique, elle-même incapable d’un tel dénuement…
L’Impératrice ne dirige pas davantage la politique religieuse que la politique militaire. Mais elle témoigne de la sympathie aux monophysites, ces croyants considérés comme hérétiques parce qu’ils ne veulent pas reconnaître une triple divinité dans la trinité mais une seule. L’Impératrice exerce son influence sur son mari pour les protéger. Ce sera leur seul grand désaccord, et Théodora parviendra à réduire le nombre de persécutions, insufflera une politique religieuse plus tolérante.
Dès son accession au statut d’Impératrice, Théodora rentre dans un système d’étiquette byzantine. Elle ne sort plus que très rarement, mais pour des apparitions éblouissantes, et se montre à l’hippodrome lorsque l’Empereur ouvre les jeux. Dès qu’elle voyage dans les provinces de l’Empire, une suite impressionnante l’accompagne.
Le reste de son temps, elle vit retirée dans un immense espace de 30 hectares, celui des palais impériaux, dont les terrasses descendent en cascades sur la mer de Marmara. Elle reçoit tous les grands dignitaires du royaume, entourée de ses nombreuses femmes, dans son splendide palais de Daphné.
Et gare à celui qui ne lui témoigne pas les mêmes honneurs qu’à son époux ! Jalouse de son statut, Théodora Augusta ne tolère aucun manquement, et Justinien veille à ce que l’on témoigne à sa femme le respect qui lui est dû.
Aimant le luxe, Théodora revêt des parures d’une magnificence inouïe. Il en reste un témoignage : une imposante mosaïque de la basilique Saint-Vital à Ravenne représente Théodora, entourée de sept dames d’honneur et de deux dignitaires de l’Empire, parée somptueusement. L’impératrice porte ici un paludamentum pourpre, manteau impérial retenu à l’épaule, orné d’un col constellé de pierres précieuses, le superhumeral. Sa tête est coiffée d’une couronne recouverte de perles qui descendent sur le visage, dites praipendula.
L’harmonie publique et privée du couple est maintenue jusqu’à la mort de Théodora, emportée par un cancer aux alentours de 548, quelques dix-sept années avant Justinien. L’Empereur ne se remettra jamais de la mort de celle avec qui il avait partagé le pouvoir pendant 21 ans, et s’enfermera dans la solitude. Si Théodora n’a donné aucun enfant à Justinien, elle aura réussit avant sa mort à marier une de ses nièces avec un neveu de son époux, qui deviendra l’Empereur Justin II…
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