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HORS DE L’EGLISE , POINT DE SALUT » ?

Ce mois-ci, nous terminons notre longue étude sur le sacrement du baptême, par une question ouverte, qui a fait couler beaucoup d’encre : hors de l’Eglise, point de salut ? Cette question pourrait être reformulée différemment : quid du salut des non-chrétiens ? Quand nous regardons l’histoire de cet adage, nous constatons qu’historiquement, il y a eu cinq phases. Cette affirmation se base sur deux textes de la parole de Dieu : Dans l’Ancien Testament : l’arche de Noé où seuls sont sauvés ceux qui sont dans l’Arche, suite à l’écroulement des « colonnes d’Hercule ». Et la question qui se pose : que se passe-t-il pour ceux qui ne sont pas dans l’Arche ? Dans le Nouveau Testament : en Mc 16,16, sur la parole même du Christ : « celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ; celui qui refusera de croire sera condamné ». Cette phrase vient du 3ème Siècle et elle est attribuée à St Cyprien de Carthage, reprise ensuite par Origène. La position naît dans un contexte de persécution et concerne ceux qui quittent l’Eglise, mais pas ceux qui n’ont pas entendu parler du Christ. Elle s’appliquait dès le départ pour ceux qui ont été baptisés mais ont quitté l’Eglise par choix personnel. Si à l’époque, cela concerne ceux qui n’ont pas réussi à supporter la menace de tortures et de mort –ce qui peut se comprendre-, elle concerne aujourd’hui les personnes qui, par choix, veulent se faire « débaptiser » (ce qui est impossible, car les dons de Dieu sont sans repentance. Mais une telle demande est quelque chose de très sérieux et de très grave… Car c’est un « apostat » clair et sans équivoque. Renier son baptême officiellement entraîne des conséquences directes : pas le secours des sacrements, notamment en fin de vie, ni de passage à l’Eglise, afin de respecter cette liberté… devenant ainsi une nouvelle âme errante, comme dans toute sépulture civile). La deuxième phase, un peu stricte, va donner une position officielle : ceux qui n’entrent pas dans l’Eglise sont considérés comme ayant entendu parler du Christ et donc c’est un refus, par acte libre, qui entraîne la damnation. Les Pères de l’Eglise essaient d’interpréter cet adage. La formule entre dans le Magistère (Concile de Florence 1439, avec des propos très durs pour ceux qui ne croient pas). Le concile œcuménique de Florence a promulgué, le 4 février 1442, la bulle Cantate Domino déclarant l’union dans la foi avec les chrétiens orientaux que sont les coptes jacobites. Ce document est une profession de foi, longue, détaillée et solennelle, qui commence par la confession du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et récapitule tous les points de foi qui doivent être tenus ensemble entre catholiques et coptes. Elle reprend la série des anathèmes promulgués par les anciens conciles qu’elle reçoit et dont elle « embrasse » la doctrine. Elle revêt donc formellement une autorité plus grande qu’un simple « canon » avec anathème. Or elle affirme, à propos de l’Eglise : « (La très sainte Eglise romaine) croit fermement, professe et prêche qu’aucun de ceux qui se trouvent en dehors de l’Eglise catholique, non seulement païens, mais encore juifs ou hérétiques et schismatiques, ne peuvent devenir participants de la vie éternelle, mais iront « dans le feu éternel qui est préparé pour le diable et ses anges » (Mt 25,41), à moins qu’avant la fin de leur vie ils ne lui aient été agrégés ; elle professe aussi que l’unité du corps de l’Eglise a un tel pouvoir que les sacrements de l’Eglise n’ont d’utilité en vue du salut que pour ceux qui demeurent en elle, que pour eux seuls jeûne, aumônes et tous les autres devoirs de la piété et exercices de la milice chrétienne enfantent les récompenses éternelles, et que personne ne peut être sauvé, si grandes soient ses aumônes, même s’il verse son sang pour le nom du Christ, s’il n’est pas demeuré dans le sein et dans l’unité de l’Eglise catholique ». Avouons qu’un tel texte est bien difficile à lire de nos jours et qu’il apparaît spontanément comme scandaleux. Comment le comprendre ? Faut-il vraiment le justifier ? Mais confrontons-le tout de suite à la Constitution dogmatique Lumen Gentium de Vatican II : « Enfin, ceux qui n’ont pas encore reçu l’Evangile sont ordonnés de diverses manières au Peuple de Dieu. En premier lieu, à la vérité, ce peuple auquel ont été données les alliances et les promesses et dont est issu le Christ selon la chair (cf. Rm 9,4-5), peuple très aimé selon l’élection, à cause de ses pères : car les dons et l’appel de Dieu sont sans repentance (cf. Rm 11,28-29). Mais le dessein salvifique embrasse aussi ceux qui reconnaissent le Créateur et, parmi eux, en premier lieu, les musulmans, qui, professant avoir la foi d’Abraham, adorent avec nous le Dieu unique, miséricordieux, qui jugera les hommes au dernier jour. Quant aux autres qui cherchent le Dieu inconnu à travers des ombres et des images, Dieu n’est pas loin d’hommes de cette sorte, puisqu’il donne à tous vie, souffle et toutes choses (cf. Ac 17, 25-28) et que, comme Sauveur, il veut que tous les hommes soient sauvés (cf. 1 Tm 2,4). En effet, ceux qui, sans faute de leur part, ignorent l’Evangile du Christ et son Eglise et cherchent cependant Dieu d’un cœur sincère et s’efforcent sous l’influence de la grâce d’accomplir dans leurs actions la volonté de Dieu telle qu’ils la connaissent par ce que leur dicte leur conscience, peuvent obtenir, eux aussi, le salut éternel. Et la divine Providence ne refuse pas les secours nécessaires pour le salut à ceux qui, sans faute de leur part, ne sont pas encore parvenus à une connaissance explicite de Dieu, mais cherchent, non sans le secours de la grâce, à mener une vie droite ». Il faut dire qu’au Moyen-âge, on est dans un enseignement universel du Magistère qui va se préciser peu à peu. Dans les Temps modernes, il y a une première rupture : la formule pose difficulté. Avant, on disait : Ceux qui sont dans l’Eglise sont sauvés, Ceux qui sont hors de l’Eglise sont damnés.

Dans le contexte de découverte de l’Amériques, c’est-à-dire des peuples entiers qui ne connaissent pas le Christ, sans faute de leurs parts, dans une Eglise en récession, la question devient difficile. La 2ème rupture est culturelle : l’Eglise n’est plus hégémonique. Il y a des masses entières de personnes qui n’ont jamais entendu parler du Christ sans faute de leur part, et cette question devient accrue, notamment avec le choc des Lumières. Le bénéfice de l’apport du 19ème S est qu’il va apporter la doctrine du salut possible par une foi implicite des justes qu’on reprend pour les appliquer aux personnes qui n’ont pas connu le Christ. Depuis St Augustin, on considérait que tout le monde a pu connaître le Christ et donc s’il y a des non catholiques, c’est le signe d’un refus explicite du Christ et donc damnation. Avec la découverte des Amériques, on ne tient plus cela. Pour ceux qu’on découvre en ignorance non fautive du Christ, on va dire qu’ils ne sont pas damnés automatiquement. Pie IX va très loin : on peut être sauvé sans baptême, en leur appliquant le salut des Justes d’avant l’évènement du Christ.

Au 20ème S, il y a une grande réflexion : comment situer les chrétiens non catholiques qui considèrent que leur Eglise appartient à l’Eglise du Christ ? Distinction entre hérétique formel et ceux qui naissent dans une hérésie mais qui ont une vraie foi. On va alors dire que les membres appartiennent au Christ, de manière réelle même si c’est partiellement. Mais si tout homme peut être sauvé par son appartenance implicite, pourquoi vouloir les faire entrer explicitement dans l’Eglise ? Etre chrétien anonyme ne suffit-il pas ? Comment ne pas déprécier le baptême ? On peut dire : Ceux qui sont dans l’Eglise sont sauvés (sous réserve !), On n’est pas sûr du salut pour ceux qui sont hors de l’Eglise. En tout cas, ils sont privés des grands secours donnés uniquement par l’Eglise.

On quitte le rapport extérieur/intérieur, membre ou non membre, pour entrer dans une logique d’intégration : on est en lien ou non avec l’Eglise : on est ordonné ou non à l’Eglise. Tout ce qui est en puissance, tout homme en tant que créé par Dieu est ordonné au Christ et donc à l’Eglise. C’est très dynamique. On a une vraie prise de conscience, grâce au père de Lubac, qui permet de comprendre combien l’Eglise est engagée dans le salut de tout homme. C’est en renouvelant notre vision ecclésiologique qu’on peut saisir le salut pour tout homme. Vatican II ne reprend pas cet adage : il l’interprète sans le citer expressément. Le CEC (catéchisme de l’Eglise catholique) donne la vraie explication de cet adage. Il n’y a pas l’Eglise catholique puis le reste qui est exclu. On n’a plus cette vision d’exclusion mais la règle est devenue un préjugé favorable et ouvert. On entre dans une perspective de l’histoire du salut qui concerne tout homme. L’Eglise ne juge plus les personnes mais propose un chemin de salut, tout en relevant la propre valeur des autres religions.

Même si le baptême est nécessaire, le salut est possible pour tous les hommes même si on n’en est pas sûr. C’est le Christ qui fonde le salut. On ne peut être sauvé que par le Christ, en étant soit dans l’Eglise soit ordonné à l’Eglise. Sans faute de leur part, ceux qui ne connaissent pas le Christ peuvent atteindre le salut s’ils suivent leur conscience. De manière plus rapide, mais peut-être plus radicale encore, la constitution Gaudium et Spes parle ainsi du salut apporté par le mystère pascal du Christ : « Cela ne vaut pas seulement pour ceux qui croient au Christ, mais bien pour tous les hommes de bonne volonté, dans le cœur desquels, invisiblement, agit la grâce. En effet, puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associés au mystère pascal  ». La confrontation, tout anachronique qu’elle soit, de ces trois documents s’imposait. Ils abordent en effet, de manière doctrinale, le même sujet. Les deux premiers parlent l’un et l’autre des juifs et des croyants d’autres religions. Le premier ajoute aussi les « hérétiques et les schismatiques », Lumen Gentium en a déjà parlé au paragraphe précédent, au n° 15, voulant souligner la communion baptismale qui demeure entre tous les chrétiens, communion d’un autre ordre que les liens existant entre elle et les croyants d’autres religions. Le troisième texte pose une affirmation de principe aussi forte que le premier, mais en sens contraire. Le jugement porté par les deux conciles, à cinq cents ans de distance, sonne donc plus que différent ; à première lecture il est opposé. C’est ce que constate le cardinal Yves Congar : « Il est clair – il serait vain de le cacher – que le décret conciliaire Unitatis redintegratio (Concile de Florence) dit sur plusieurs points autre chose, de même que la déclaration sur la liberté religieuse dit le contraire de plusieurs articles du Syllabus de 1864, de même que Lumen Gentium, n° 16, et Ad Gentes divinitus, n° 7, disent autre chose que Extra Ecclesiam nulla salus au sens où on a entendu, pendant des siècles, cet axiome faussement clair ». Dans le premier cas on assiste à une condamnation sans appel et sans nuances. Un nombre immense de personnes se trouvent exclues du salut et condamnées à l’enfer pour la seule raison qu’elles n’appartiennent pas à l’Eglise catholique. Bien plus, le texte envisage le cas extrême d’un martyr pour le nom du Christ qui n’appartiendrait pas à l’Eglise catholique. Toute forme de relation à l’Eglise est refusée pour ces personnes, relation qui semble même privilégiée par rapport à leur relation au Christ. Ce refus vise à l’évidence ceux qui sont « appelés hérétiques et schismatiques ». Dans le second cas, toute l’humanité est affirmée comme « ordonnée au Peuple de Dieu ». On parle des juifs et des musulmans dans des termes très positifs, soulignant les valeurs religieuses dont ils vivent. De même sont « embrassés » dans le dessein de salut annoncé par l’Eglise tous ceux « qui cherchent Dieu d’un cœur sincère », même ceux qui n’ont pu parvenir à sa connaissance explicite. Plus encore, il est dit formellement que tous « peuvent obtenir, eux aussi, le salut éternel ». On affirme qu’à tout homme, quel qu’il soit, est donnée la grâce et offerte la possibilité du salut. Ces textes demandent à être mis en situation historique, insérés dans le courant de la tradition chrétienne, analysés et commentés. Mais ce n’est pas notre sujet, ici. Retenons qu’il a fallu des siècles à la Doctrine pour que l’Esprit Saint nous fasse comprendre la richesse de la miséricorde de Dieu offerte en Christ par son Eglise, selon cette affirmation de St Paul : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » (1 Tm 2, 4), et Dieu est parfaitement libre d’utiliser tous les chemins qu’il estime nécessaires, même si cela change nos habitudes et nos sécurités. Désormais, il faut un refus explicite et conscient, ce dont seul Dieu peut juger. On est passé du salut des non croyants à la nécessité pour l’Eglise que tout homme soit sauvé. On a un mûrissement de la conscience de l’Eglise qui conduit à creuser comment Elle contribue au salut de tous les hommes, y compris les non croyants. L’Eglise est sacrement universel du salut : pas de salut sans le Christ et l’Eglise. Mais comment l’Eglise contribue au saut des non croyants ? Les Dogmes qui avancent n’ont pas encore apporté leur réponse. Aujourd’hui, nous avons enfin retrouvé le sens de St Cyprien, mais on n’est pas encore arrivé à expliciter : « le Christ pour tout homme, mais comment ? ». C’est en court ! On sent le mûrissement comme une inspiration de l’Esprit Saint. 2.000 ans d’histoire arrivent à un point culminant. On est vraiment à la croisée d’un nouveau chemin. Il y a l’avant Vatican II et l’après : on n’en est qu’à la genèse de cet après concile et tout un travail théologique se met en place. C’est Vatican II qui donne la juste compréhension de cet adage qui ouvre notamment à ces nouvelles questions. On commence juste ce travail et c’est très exaltant de voir combien l’Esprit Saint a inspiré la vérité à son Eglise, après des siècles de préparation. Avant Vatican II, l’Eglise a préparé un monde. Aujourd’hui, si elle est minoritaire, c’est aussi parce qu’elle commence une nouvelle étape essentielle. Rdv donc dans un siècle pour la suite de ce dossier qui nous a accompagnés plus d’une année, car en théologie, rien n’est jamais terminé !!

+Franz

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