NOUVELLE TRADUCTION DU MISSEL ROMAIN - Un acte de tradition ?
Dernière mise à jour : 8 déc. 2020
Traduire : un acte de tradition ? Une nouvelle traduction est en elle-même un acte de tradition du mystère de la foi, car elle s’insère dans une histoire continue de la transmission de la foi tout en témoignant de l’élan missionnaire et évangélique de l’Eglise, toujours soucieuse de donner à entendre ce mystère dans les cultures contemporaines. Selon certaines études, il y aurait actuellement entre 3000 et 6000 langues vivantes différentes dans le monde, auxquelles s’ajoutent celles –langues mortes- qui ont disparu au cours des siècles. Une telle profusion reflète bien le besoin fondamental de communication entre les êtres humains. Chaque langue repose initialement sur la capacité physique d’émettre des sons, capacité qui nous est commune avec les animaux, mais qui s’est affinée considérablement. Par convention reconnue, ces sons acquièrent une signification propre, de plus en plus complexe. Ainsi, lorsque j’entends le son (so), différentes interprétations sont possibles, que l’orthographe et le contexte permettent heureusement de distinguer : « seau », « saut », « sot », « sceau ». Le même son « so » en italien « je sais » et en anglais « tellement, aussi, ainsi ».
Chaque langue a donc sa cohérence particulière qu’il faut connaître et respecter ; si je décidais que le son « o » en français désignait non pas « l’eau » mais une table, la communication d’un message ne serait plus possible ! Quand nous entrons en contact avec une langue qui n’est pas la nôtre, nous avons besoin de traduction. On se rappelle en ce sens le travail gigantesque que Champollion a effectué au XIXème siècle pour déchiffrer les hiéroglyphes : grâce à la pierre de Rosette qui présentait le même texte en trois langues différentes, il nous a fait accéder au monde égyptien qui nous était fermé depuis des siècles. La traduction est une « tradition », c’est-à-dire la transmission, le passage à un autre d’un message exprimé dans un système spécifique. Un tel processus suppose la compréhension approfondie du message initial –ce qui doit être traduit- ainsi que celle du destinataire, celui qui reçoit le message. Pour nous chrétiens, et de façon particulière pour nous catholiques, la traduction fait partie essentielle de la transmission de la foi. Les textes bibliques de l’Ancien Testament ont été rédigés en hébreu et en araméen ; très tôt cependant, pour être accessibles aux gens vivant hors du territoire juif, ils ont été traduits en grec, dans une version qu’on appelle la Septante. Le Nouveau Testament a été écrit en grec ; certains mots ou expressions (amen, alléluia, abba, kyrie eleison) rappellent toujours cet héritage.
Pour rejoindre le monde romain, les mêmes textes ont été ensuite traduits en latin, grâce au travail de saint Jérôme et à sa version de la Bible, la Vulgate. Le même travail de traduction et de transmission se maintient dans les langues actuelles : on trouve actuellement la Bible complète en plus de 500 langues, et le Nouveau Testament en 1300. Les traducteurs rappellent souvent que leurs travaux ont été effectués à partir des textes hébreux, araméens et grecs originaux. Une traduction peut être littérale –mot à mot, comme on en trouve quelquefois sur Internet. C’est sans doute un point de départ, mais on ne peut trop s’y fier, car certaines expressions typiques sont difficilement traduisibles. Pour transmettre leur signification propre, le traducteur doit trouver leur juste correspondance dans la langue de traduction. Les traductions en langues modernes doivent être mises à jour régulièrement, parce que la langue parlée évolue beaucoup. Ainsi, les longues phrases en usage au XVIIème siècle chez Bossuet sont moins compréhensibles pour nos contemporains qui préfèrent des phrases plus courtes. L’imparfait du subjonctif, très répandu jusqu’au XIXème siècle, a presque disparu de l’usage actuel. Plus personne ne dit : « je voulais que tu vinsses », mais plutôt : « je voulais que tu viennes ».
Pendant des siècles, la liturgie romaine a été célébrée uniquement en latin. Le Concile Vatican II a permis le recours aux langues vernaculaires (les langues de chaque région) tout en souhaitant maintenir un certain usage du latin pour préserver un précieux héritage et constituer une langue commune lors des célébrations internationales (Cf. Sacrosanctum Concilium, articles 36 et 54). Pendant plus de 17 ans, une équipe de spécialistes a travaillé à une traduction liturgique de la Bible, de sorte que tous les extraits de la Parole de Dieu proclamés dans les célébrations puissent être identiques dans toute la francophonie. Cette traduction a été approuvée par le Saint-Siège et est en usage depuis 2013. Pour sa part, le Missel Romain est le texte normatif pour la liturgie eucharistique dans l’Eglise latine. Sa traduction doit être aussi soignée que celle de la Parole de Dieu. L’adage dit en effet : « lex orandi, lex credendi », c’est-à-dire « la manière de prier doit refléter la foi authentique de l’Eglise ». La liturgie n’est pas une simple prière privée, dans laquelle je m’adresse personnellement à Dieu ; elle est avant tout la prière de toute l’Eglise, dans laquelle chaque personne s’insère. Les traducteurs doivent ainsi être attentifs à ce que leur traduction rende fidèlement le contenu de la foi que l’Eglise exprime dans sa prière, et ce dans un langage accessible aux contemporains : double fidélité donc, pour que la transmission de la foi s’effectue réellement.
Les textes du Missel comprennent différentes strates, révélatrices de l’histoire bimillénaire de l’Eglise. On y trouve des extraits de la parole de Dieu (antiennes d’ouverture et de communion), des prières remontant aux premiers temps de l’Eglise (le Canon est cité déjà en grande partie par saint Ambroise, mort en 397), des oraisons et des préfaces inspirées de saint Léon le Grand (pape de 440 à 461) et de saint Thomas d’Aquin (mort en 1274), ainsi que des différents conciles. On trouve aussi des prières contemporaines : prières eucharistiques II, III et IV, celles pour la réconciliation, pour les circonstances diverses, de même que les oraisons propres pour les saints récemment canonisés.
Grâce au travail de traduction, les fidèles francophones de notre temps ont accès dans leur langue au précieux héritage de la foi que l’Eglise transmet dans sa Tradition vivante, en annonçant la Parole de Dieu et en célébrant la Sainte Liturgie. Une certaine initiation et la catéchèse sont requises pour en comprendre le contenu et en découvrir les richesses ; en ce sens, il faut expliquer à des fidèles d’âges et de cultures différents les notions spécifiques de « grâce », de « sacrifice », « d’Eucharistie ». La Tradition est vivante, elle n’est pas figée. L’époque contemporaine lui a apporté ses propres accents, en particulier par les homélies, les temps de prière silencieuse et les intercessions des fidèles.
Puisse l’implantation de la nouvelle traduction française du Missel Romain, qui remplace celle effectuée dans les années 1970, aider les fidèles francophones à mieux comprendre la liturgie catholique et à en vivre dans la conscience d’un précieux héritage reçu et à transmettre.
+Mgr Serge POITRAS
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